Article | 4 novembre 1995, l’assassinat de Yitzhak Rabin

L’histoire du Moyen-Orient a été marquée par de nombreux événements violents, mais peu ont eu un impact aussi symbolique et profond que l’assassinat de Yitzhak Rabin, Premier ministre israélien et artisan des accords de paix avec les Palestiniens.

Cet événement tragique, survenu le 4 novembre 1995 à Tel-Aviv, a bouleversé Israël, mais aussi le monde entier, en interrompant brutalement un processus fragile qui portait en lui l’espoir d’une réconciliation entre deux peuples en conflit depuis des décennies.

Pour comprendre toute la portée de ce drame, il est essentiel de revenir non seulement sur la personnalité de Rabin et son rôle politique, mais aussi sur le contexte historique, les tensions idéologiques, les réactions internationales et les conséquences à long terme de son assassinat.

La jeunesse et la carrière militaire de Rabin

Avant de devenir une figure politique incontournable, Yitzhak Rabin fut un militaire respecté et un stratège redouté.

Né à Jérusalem en 1922, il grandit dans un climat de tensions permanentes entre la population juive et arabe sous mandat britannique. Très tôt, il rejoignit la Haganah, organisation paramilitaire qui défendait les colonies juives, et participa activement à la création de l’État d’Israël en 1948.

Dans les années qui suivirent, il monta rapidement en grade au sein de l’armée israélienne, jusqu’à devenir chef d’état-major. Il joua un rôle déterminant lors de la guerre des Six Jours en 1967, qui vit Israël s’emparer de vastes territoires, changeant à jamais la géopolitique de la région.

Cette carrière militaire fit de lui une figure respectée, mais aussi un symbole de la sécurité nationale, un élément qui renforça plus tard sa légitimité politique.

Dès son plus jeune âge, Rabin fut marqué par :

  • L’instabilité chronique du Proche-Orient
  • La nécessité de défendre les communautés juives
  • L’importance de l’organisation militaire pour survivre
  • Une discipline stricte qui forgera son caractère

Un homme de transition vers la diplomatie

Après sa carrière militaire, Rabin entama une reconversion politique qui surprit beaucoup d’observateurs.

En 1974, il devint Premier ministre pour la première fois, succédant à Golda Meir. Ce passage au pouvoir ne fut pas facile, mais il démontra déjà sa capacité à évoluer d’un homme de guerre vers un homme de compromis.

Il conserva toujours une vision pragmatique : pour lui, Israël devait rester fort, mais ne pouvait ignorer indéfiniment les réalités régionales.

Selon plusieurs témoignages de ses proches collaborateurs, Rabin était convaincu que seule une approche pragmatique et progressive pouvait offrir une chance réelle à la paix.

Ses années comme ambassadeur à Washington avaient également façonné son regard sur la diplomatie internationale. Rabin comprit l’importance vitale de l’alliance israélo-américaine et l’utilisa comme levier pour renforcer son poids politique.

Cette double identité, à la fois militaire et diplomatique, fit de lui un leader singulier, capable de parler le langage de la force comme celui de la négociation.

Les accords d’Oslo et le prix Nobel de la paix

Dans les années 1990, alors que le conflit israélo-palestinien semblait enlisé dans une spirale sans fin, Rabin surprit encore une fois le monde en s’engageant dans un processus de dialogue direct avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP).

Les négociations secrètes menées en Norvège débouchèrent en 1993 sur les accords d’Oslo, qui marquèrent une étape historique.

Pour la première fois, un Premier ministre israélien reconnaissait l’OLP comme interlocuteur légitime, tandis que les Palestiniens acceptaient le principe de l’existence d’Israël.

La fameuse poignée de main entre Rabin et Yasser Arafat, sous l’œil attentif de Bill Clinton à Washington, devint une image emblématique de cette volonté de paix.

Les accords d’Oslo prévoyaient notamment :

  • La reconnaissance mutuelle entre Israël et l’OLP
  • La création d’une Autorité palestinienne autonome
  • Un calendrier progressif de retrait israélien de certaines zones
  • L’espoir d’un futur État palestinien

Une société israélienne profondément divisée

Malgré l’espoir suscité par Oslo, la société israélienne resta profondément fracturée. Une partie importante de la population, en particulier la gauche et les milieux pacifistes, voyait en Rabin un visionnaire.

Mais une autre partie, composée de colons, de religieux nationalistes et de partis de droite, considérait ces concessions comme une trahison.

Les manifestations contre les accords prirent rapidement de l’ampleur, avec des slogans violents, des caricatures assimilant Rabin à un traître, voire à un nazi.

Les services de renseignement avaient d’ailleurs alerté à plusieurs reprises sur la montée d’une haine politique susceptible de dégénérer en violences extrêmes.

Ce climat délétère révéla une faille profonde dans la démocratie israélienne : la difficulté à concilier sécurité, identité nationale et ouverture vers un compromis territorial.

Rabin, conscient du danger, resta néanmoins déterminé à poursuivre la voie de la négociation, convaincu qu’il fallait saisir cette opportunité avant qu’elle ne disparaisse.

Le 4 novembre 1995 : un choc national et mondial

Le soir du 4 novembre 1995, Tel-Aviv accueillait un grand rassemblement en faveur de la paix. Rabin y participa, prononça un discours émouvant, puis descendit de la scène. C’est à ce moment qu’un jeune extrémiste israélien, Yigal Amir, l’abattit de plusieurs balles à bout portant.

La nouvelle se répandit à une vitesse fulgurante, plongeant Israël dans une sidération totale. Pour beaucoup, il était inconcevable qu’un Premier ministre puisse être assassiné par un compatriote, en plein cœur de Tel-Aviv.

La scène fut vécue comme un traumatisme national, un point de bascule où l’unité du pays sembla se fissurer définitivement.

Les images de la foule en pleurs, les hommages spontanés devant la résidence de Rabin et l’immense cérémonie funéraire retransmise dans le monde entier marquèrent durablement les mémoires.

Des dirigeants venus de tous les continents, dont Bill Clinton, Jacques Chirac et le roi Hussein de Jordanie, assistèrent aux obsèques, témoignant de l’impact international de cet assassinat.

Les motivations de l’assassin

Yigal Amir, étudiant en droit issu d’un milieu religieux radical, ne cacha jamais ses motivations.

Opposé aux accords d’Oslo, il considérait que céder des territoires aux Palestiniens revenait à trahir le peuple juif et la promesse biblique de la terre d’Israël. Il se réclamait de la doctrine de la « loi du Rodef », une interprétation extrémiste de la tradition juive qui, selon lui, justifiait l’élimination de Rabin.

Ce meurtre révéla à quel point certaines franges de la société israélienne s’étaient radicalisées.

De nombreux analystes ont souligné que les discours haineux et la diabolisation de Rabin avaient créé un climat propice à un tel passage à l’acte.

Cet acte ne fut donc pas seulement le geste isolé d’un individu, mais le résultat d’un environnement politique et religieux polarisé.

La responsabilité collective fut rapidement posée dans le débat public, ouvrant une réflexion douloureuse sur les limites de la liberté d’expression et la responsabilité des leaders politiques dans l’escalade des tensions.

Les conséquences immédiates sur le processus de paix

La disparition de Rabin eut un effet dévastateur sur les négociations de paix. Son successeur, Shimon Peres, tenta de poursuivre la dynamique engagée, mais sans le même charisme ni la même légitimité auprès de l’opinion publique israélienne.

Rapidement, les attentats du Hamas, l’intensification des violences et la victoire électorale de Benjamin Netanyahu en 1996 mirent un coup d’arrêt brutal à Oslo.

Les conséquences furent multiples :

  • La montée en puissance des forces politiques hostiles au compromis
  • Une recrudescence des violences entre Israéliens et Palestiniens
  • La perte de confiance mutuelle entre les deux camps
  • Un gel progressif du processus de négociation

Un héritage encore disputé aujourd’hui

Plus de vingt-cinq ans après son assassinat, la mémoire de Rabin reste vive mais controversée. Pour les partisans de la paix, il demeure le symbole d’un espoir brisé. Pour ses opposants, il reste celui qui aurait mis en danger la sécurité d’Israël en faisant trop de concessions.

Chaque année, lors des commémorations, le pays se divise encore entre ceux qui honorent sa vision et ceux qui la critiquent.

L’assassinat de Rabin illustre l’extrême difficulté de construire la paix dans un environnement marqué par des traumatismes historiques, des rivalités territoriales et des visions du monde inconciliables.

Sa mort ne fut pas seulement celle d’un homme, mais celle d’un moment où la réconciliation semblait possible.

Conclusion

L’assassinat de Yitzhak Rabin fut plus qu’un drame politique : il fut une blessure profonde infligée à la société israélienne et au rêve de paix au Proche-Orient.

Ce crime révéla les fractures internes d’un pays partagé entre aspirations pacifistes et visions nationalistes. Il montra aussi combien la haine idéologique pouvait détruire un processus pourtant soutenu par la communauté internationale.

Aujourd’hui encore, la figure de Rabin incarne cette tension permanente entre la guerre et la paix, entre la sécurité et le compromis. Son héritage reste un rappel douloureux que la paix n’est jamais acquise, mais doit être sans cesse défendue, même au prix du courage politique.

L’histoire retiendra qu’il osa tendre la main à l’ennemi, et qu’il en paya le prix ultime.