Article | La folie soudaine de Charles VI : entre légende et réalité historique

C’était au milieu de l’été 1392, sous les lourdes chaleurs d’août, que le destin du royaume bascula dans un éclat dramatique. Alors qu’il traversait la forêt avec son escorte, un roi vêtu d’éclatants habits blancs vit surgir soudain un homme mystérieux.

Celui-ci, s’agrippant à la bride de son cheval, lança un cri angoissant : « Arrête, noble roi, ne passe pas outre, tu es trahi ! ». Cette apparition fulgurante fit sursauter le souverain, ébranlant son esprit déjà fragile.

Quelques instants plus tard, le page chargé de porter la lance royale s’assoupit sur sa monture ; l’arme tomba, résonna sur un casque et fit jaillir un vacarme métallique. Charles, pris de terreur, dégaina son épée et hurla : « Sus, sus aux traîtres ! ».

Dans sa confusion, il se jeta, arme à la main, non seulement sur ses pages et ses gardes, mais aussi sur son propre frère, le duc d’Orléans, qui ne dut son salut qu’à une fuite précipitée. Ainsi naquit dans l’effroi un épisode qui marquera durablement la mémoire : le roi était devenu fou.

Un roi emporté par une crise soudaine

La scène, rapportée par les chroniqueurs et amplifiée par les historiens du XIXe siècle, incarne la brutalité avec laquelle la folie frappa Charles VI. On décrit cet instant comme un basculement irréversible, un passage abrupt de la lucidité au délire meurtrier.

La soudaineté de cette crise interrogea dès l’époque ses contemporains, qui cherchèrent à donner sens à ce mystère. Certains évoquèrent l’influence d’un empoisonnement perfide ou celle d’un sombre envoûtement.

Ces explications reflètent autant les croyances de l’époque que la peur collective face à un souverain dont la raison s’effondrait au cœur même de son règne.

« Le Moyen Âge aimait attribuer les maux des princes à la magie ou aux poisons, plutôt qu’à la nature humaine et ses fragilités. »

L’accusation dirigée contre Louis d’Orléans

Lorsque surgit la question de l’origine de cette démence, un nom revint inlassablement : celui de Louis d’Orléans, frère cadet du roi.

Il était aisé, pour les contemporains, de voir dans sa proximité avec Charles une opportunité d’influence suspecte, voire criminelle. Les rumeurs allèrent plus loin encore en désignant son épouse italienne comme coupable de pratiques occultes.

Dans l’imaginaire de l’époque, toutes les reines ou princesses venues d’Italie semblaient liées, de près ou de loin, aux arts de la sorcellerie.

Ainsi, la suspicion s’inscrivait dans une logique où l’étranger, et plus encore l’épouse étrangère, devenait bouc émissaire des drames de la cour.

Face à ce climat de méfiance, certains chroniqueurs n’hésitèrent pas à affirmer que le roi, dans un éclair de délire, avait voulu se venger de son frère. Ces interprétations, souvent relayées par des écrivains plus soucieux de romanesque que de vérité, donnèrent à la folie de Charles VI des contours presque tragiquement théâtraux.

« Derrière chaque accusation de sorcellerie, il faut lire les peurs d’une société qui redoutait ce qu’elle ne comprenait pas. »

La manipulation politique de Jean sans Peur

Toutefois, réduire la démence royale à un complot familial serait simpliste. En réalité, cette thèse d’empoisonnement servit surtout les intérêts d’un homme : Jean sans Peur, duc de Bourgogne.

Celui-ci, rival acharné de Louis d’Orléans, exploita avec une habileté redoutable la fragilité mentale du roi pour justifier ses propres ambitions.

En 1408, après l’assassinat du prince d’Orléans, Jean sans Peur fit appel à son « avocat » Jean Petit, qui prononça un discours resté célèbre, tentant de légitimer le meurtre en l’habillant d’arguments politiques et moraux.

Cette manipulation révèle à quel point la folie du souverain devint une arme dans les luttes de pouvoir. Elle permit d’entretenir une propagande destinée à faire passer un acte sanglant pour une mesure nécessaire au salut du royaume.

« Dans l’art de la politique médiévale, la rumeur et la propagande avaient parfois plus de poids que les armes. »

Une origine plus biologique que surnaturelle

Si l’on met de côté les récits teintés de magie et les discours intéressés, les historiens modernes s’accordent à voir dans la folie de Charles VI une cause plus intime et plus tragique. Le roi était en réalité héritier d’une longue lignée marquée par les mariages consanguins, fréquents dans la haute noblesse de l’époque.

Cette endogamie, en affaiblissant la constitution génétique, aurait prédisposé le malheureux souverain à des troubles psychiques graves. La folie ne serait donc pas le fruit d’un poison ou d’un sortilège, mais bien la conséquence de failles héréditaires accumulées sur plusieurs générations.

Ainsi, derrière la légende du roi frappé par la magie, se dessine une vérité plus humaine et plus sombre : celle d’un homme prisonnier de son sang et victime de choix dynastiques qui fragilisèrent sa descendance.

« L’histoire de Charles VI illustre combien les unions princières, censées renforcer les royaumes, pouvaient aussi porter en elles les germes de la fragilité. »

Conclusion

L’épisode dramatique de la folie de Charles VI n’est pas seulement une scène saisissante de l’histoire de France ; il révèle les mécanismes complexes par lesquels les sociétés médiévales interprétaient les crises.

Entre la peur de la sorcellerie, la tentation du complot, la propagande politique et la réalité biologique, cette folie incarne la rencontre entre légende et science, entre imaginaire et vérité. Elle rappelle aussi que le destin d’un roi pouvait à tout moment basculer, entraînant dans sa chute l’équilibre fragile d’un royaume tout entier.