Le discours à la Nation prononcé le 8 décembre dernier par le président Félix Tshisekedi marque une rupture nette dans l’histoire politique récente de l’Afrique centrale. Derrière l’énumération des crises et des réformes, se dessine une ligne claire : la fin d’une gestion éclatée de l’État congolais et le retour assumé d’un État stratège, capable de penser, d’arbitrer et d’imposer une cohérence d’ensemble. La RDC ne gouverne plus par réactions successives, mais par vision unifiée.
Rompre avec l’État dispersé
Pendant longtemps, la République démocratique du Congo a été administrée par compartiments. La sécurité d’un côté, l’économie de l’autre, la diplomatie à part, souvent sans articulation réelle. Cette fragmentation a affaibli l’action publique et nourri l’idée d’un État débordé par sa propre complexité.
Le discours présidentiel tranche avec cette logique. D’emblée, évoquant la grave crise du Kivu, le chef de l’État pose un cadre global : « il ne s’agit ni d’un simple conflit communautaire, ni d’une rébellion interne de plus. Il s’agit d’une guerre d’agression par procuration visant à contester notre souveraineté » . Cette phrase est centrale. Elle unifie le diagnostic sécuritaire, diplomatique et économique autour d’un même enjeu : la souveraineté.
Kinshasa sort de la gestion à la marge. Elle qualifie véritablement l’enjeu. Elle transforme une crise régionale en sujet politique majeur, relevant d’une stratégie d’État.
La sécurité comme colonne vertébrale
Le retour de l’État stratège commence par la sécurité, non comme fin en soi, mais comme socle. La reconfiguration du dispositif militaire, la professionnalisation des forces, la lutte contre les réseaux de contrebande et la fin des abus internes s’inscrivent dans une même logique : restaurer l’autorité légitime.
Le président insiste sur un point rarement assumé avec cette clarté : « nul dispositif externe ne peut remplacer durablement la responsabilité de l’État congolais dans la protection de son territoire » . Le retrait progressif de certaines missions internationales n’est pas un désengagement, mais un acte politique. Il signifie que l’État reprend la main, accepte le risque et la responsabilité qui vont avec.
Cette logique irrigue aussi la lutte contre le banditisme urbain, la réforme de la police, l’identification nationale. Sécurité extérieure et sécurité intérieure ne sont plus dissociées : elles relèvent d’un même projet de restauration de l’État.
Une diplomatie intégrée à la stratégie nationale
La diplomatie congolaise n’est plus défensive. Elle est articulée à une vision globale. Le discours le montre sans ambiguïté : accords régionaux, rôle accru aux Nations unies, présidence d’organisations africaines, partenariats diversifiés. Il ne s’agit pas d’alignements opportunistes, mais d’une diplomatie conçue comme un levier de puissance.
L’élection de la RDC au Conseil de sécurité, la condamnation explicite de l’agression par l’ONU, les accords signés sous médiation internationale traduisent un retour de crédibilité. Le président le rappelle : la RDC « occupe à nouveau une place centrale, reconnue et écoutée » .
Cette centralité n’est pas recherchée pour elle-même. Elle sert un objectif stratégique : faire converger sécurité, développement et souveraineté dans un même cadre d’action.
L’économie comme instrument de souveraineté
L’un des aspects les plus révélateurs de ce retour de l’État stratège est la place accordée à l’économie. Stabilisation macroéconomique, réforme de la gouvernance minière, traçabilité des ressources, corridors logistiques, infrastructures : tout est pensé comme un système.
Le discours insiste sur une idée forte : les ressources naturelles ne doivent plus être une malédiction, mais un levier de développement maîtrisé. La fixation de quotas, la digitalisation du cadastre, la lutte contre l’exploitation illégale s’inscrivent dans une même volonté de reprendre le contrôle.
Cette approche s’étend à l’énergie, à l’agriculture, aux transports. L’État ne se contente plus de réguler à distance. Il planifie, investit, hiérarchise.
Une vision unifiée de l’action publique
Ce qui frappe, à la lecture du discours, c’est la cohérence d’ensemble. Sécurité, diplomatie, économie, climat, social : chaque politique est reliée à une vision centrale. Le président parle d’un « État qui protège, qui planifie et qui assume » .Le retour de l’État stratège en Afrique centrale ne signifie pas un État autoritaire ou omniprésent. Il signifie un État qui sait où il va, qui fixe des priorités et qui accepte de les défendre dans la durée.
La RDC n’est pas sortie de ses fragilités. Mais elle a changé de posture. Elle ne gère plus l’urgence par fragments. Elle construit une trajectoire. Et dans une région longtemps marquée par l’improvisation et la dépendance, ce changement de méthode est, en soi, un acte politique majeur.