Article | Le sphinx de Gizeh : un monument à la fois iconique et énigmatique

Posé telle une sentinelle immuable au seuil du désert libyque, le Grand Sphinx de Gizeh captive l’imaginaire collectif depuis des millénaires. Cette créature hybride, dotée d’un corps de lion et d’une tête humaine, incarne à elle seule la grandeur et le mystère de la civilisation pharaonique.

Au-delà de sa silhouette iconique qui se détache sur le ciel du Caire, ce monument colossal soulève encore aujourd’hui des questions fondamentales sur son origine, sa construction et sa véritable fonction.

Scruter le Sphinx, c’est plonger dans une enquête archéologique où la science se confronte au mythe, et où chaque pierre semble murmurer une histoire oubliée.

Une architecture colossale taillée dans le roc vivant

La première chose qui frappe le visiteur arrivant sur le plateau de Gizeh est l’échelle vertigineuse de ce monument monolithique. Contrairement aux pyramides voisines constituées de blocs assemblés, le Sphinx a été sculpté directement dans la roche calcaire du plateau, une prouesse technique qui témoigne de l’audace des bâtisseurs de l’Ancien Empire.

Cette sculpture monumentale mesure environ 73,5 mètres de longueur, 14 mètres de largeur et atteint une hauteur impressionnante de 20 mètres. Ces dimensions en font la plus grande statue monolithique au monde, une réalisation d’autant plus spectaculaire qu’elle a été façonnée à l’aide d’outils en cuivre et en pierre, bien avant l’avènement du fer.

La géologie du site a joué un rôle crucial dans l’apparence actuelle du monument, car le corps du lion est taillé dans une couche de calcaire plus tendre et friable que la tête.

Cette disparité géologique explique en partie pourquoi le corps a subi une érosion beaucoup plus marquée au fil des siècles, nécessitant de multiples campagnes de restauration depuis l’Antiquité.

L’orientation de la statue n’est pas le fruit du hasard, car son regard est parfaitement aligné vers l’est, scrutant l’horizon là où le soleil se lève lors des équinoxes. Ce positionnement astronomique précis renforce l’idée d’une connexion intrinsèque entre le monument et le culte solaire, plaçant le roi défunt dans le cycle éternel de la renaissance de l’astre diurne.

« L’homme craint le temps, mais le temps craint les pyramides et le Sphinx veille sur elles. » – Proverbe arabe.

Les détails architecturaux, bien que dégradés, révèlent une maîtrise artistique absolue, notamment dans le traitement de la coiffe royale, le némès, dont les pans retombent sur les épaules avec une symétrie rigoureuse.

On remarque encore les traces de l’uraeus, le cobra dressé sur le front, symbole de la protection divine et de la puissance royale prête à frapper les ennemis de l’Égypte.

Une analyse minutieuse de la structure révèle trois caractéristiques physiques majeures qui définissent son esthétique singulière :

  • Le corps léonin : il représente la puissance brute, la force physique et l’ancrage terrestre, symbolisant la domination du pharaon sur le monde sauvage.
  • La tête humaine : elle incarne l’intelligence, la sagesse et la nature divine du souverain, dominant la force animale par l’esprit.
  • La queue enroulée : souvent ignorée des visiteurs, elle s’enroule autour de la patte arrière droite, complétant l’anatomie féline avec un réalisme saisissant.

L’énigme de l’identité et de la datation

La question de savoir qui a commandité cette œuvre titanesque divise encore la communauté égyptologique, bien que le consensus académique penche majoritairement vers le pharaon Khéphren. Régnant durant la IVe dynastie, vers 2500 avant notre ère, Khéphren est également le bâtisseur de la deuxième grande pyramide, à laquelle le Sphinx est relié par une chaussée montante cérémonielle.

Les arguments en faveur de Khéphren reposent sur la proximité géographique de son complexe funéraire et sur certaines ressemblances stylistiques supposées entre le visage du Sphinx et les statues connues du pharaon.

Cependant, aucune inscription contemporaine de la construction ne mentionne explicitement le nom du bâtisseur, laissant la porte ouverte à diverses interprétations.

Certains chercheurs, comme l’égyptologue Rainer Stadelmann, ont proposé que le Sphinx soit l’œuvre du père de Khéphren, le grand pharaon Khéops, constructeur de la Grande Pyramide. Cette hypothèse s’appuie sur des analyses stylistiques du visage, jugé plus carré et large, rappelant les traits de Khéops, mais elle reste minoritaire face à la théorie dominante.

Une controverse encore plus vive a émergé avec les travaux de géologues suggérant que les traces d’érosion visibles sur le corps du Sphinx et les parois de son enceinte seraient dues à des précipitations diluviennes.

Selon cette théorie de l’érosion pluviale, le monument pourrait être bien plus ancien que la civilisation pharaonique classique, remontant à une époque où le climat de l’Égypte était beaucoup plus humide, peut-être vers 7000 ou 10 000 avant J.-C.

Cette perspective bouleverserait la chronologie établie de l’histoire humaine, suggérant l’existence d’une civilisation avancée bien antérieurement à ce que l’archéologie traditionnelle admet. Toutefois, la majorité des égyptologues réfutent cette datation, attribuant l’érosion à la qualité médiocre du calcaire, au vent chargé de sable et à l’humidité saline remontant du sol.

Le visage du Sphinx, bien que mutilé, conserve une majesté indéniable qui a traversé les âges. Il représentait probablement une idéalisation du monarque, fusionnant ses traits individuels avec ceux du dieu soleil, créant ainsi une image d’autorité absolue et intemporelle.

« C’est une œuvre qui semble avoir été conçue par des dieux pour être admirée par des géants. »

Le symbolisme religieux et la stèle du rêve

Au fil des siècles, la signification religieuse du Sphinx a évolué, passant d’une représentation royale à une divinité à part entière vénérée par le peuple et les pharaons du Nouvel Empire. Il fut identifié au dieu Harmakhis (Horus dans l’horizon), devenant un lieu de pèlerinage où l’on venait déposer des offrandes et des ex-voto pour obtenir protection et fertilité.

L’un des témoignages les plus fascinants de cette dévotion est la célèbre « Stèle du Rêve », érigée entre les pattes avant du colosse par le pharaon Thoutmôsis IV. Ce récit gravé dans le granit rose raconte comment le jeune prince, s’étant endormi à l’ombre de la statue alors qu’il chassait, reçut la visite du dieu dans son sommeil.

Le Sphinx, se plaignant d’être étouffé par les sables du désert qui l’ensevelissaient jusqu’au cou, promit la royauté à Thoutmôsis en échange de son désensablement. Le prince exécuta la volonté divine et devint pharaon, inaugurant une nouvelle ère de restauration et de respect pour ce gardien ancestral.

Ce récit souligne à quel point l’ensablement a été une menace constante pour le monument tout au long de son histoire. Le site de Gizeh, exposé aux vents violents, a vu le Sphinx disparaître et réapparaître à maintes reprises, ce qui a paradoxalement contribué à protéger le corps de l’érosion éolienne pendant de longues périodes.

Les cultes rendus au Sphinx incluaient divers rituels et croyances :

  • Le culte solaire : adoration du soleil levant, symbole de résurrection quotidienne.
  • La protection dynastique : le Sphinx était vu comme le garant de la légitimité du pharaon sur le trône d’Horus.
  • Les oracles populaires : à l’époque tardive, on prêtait au monument la capacité de rendre des oracles, attirant des pèlerins de toute la Méditerranée.

Les mystères des chambres secrètes et les dégâts du temps

La fascination moderne pour le Sphinx est souvent alimentée par la quête de chambres secrètes ou de bibliothèques enfouies sous le monument. Les légendes ésotériques, popularisées par des figures comme Edgar Cayce, évoquent une « Salle des Archives » contenant le savoir perdu de l’Atlantide ou les secrets de la création des pyramides.

Des analyses sismographiques et des radars à pénétration de sol ont effectivement détecté des anomalies et des cavités sous et autour du Sphinx. Cependant, aucune preuve archéologique tangible n’a confirmé l’existence de salles manufacturées contenant des trésors ou des manuscrits, la plupart de ces vides étant probablement des fissures géologiques naturelles ou des cavités karstiques.

L’histoire des dégradations du Sphinx est aussi longue que celle de son existence, la plus célèbre étant la perte de son nez. Contrairement à la légende tenace accusant les troupes de Napoléon Bonaparte, les dessins réalisés avant l’expédition d’Égypte montrent que le nez avait disparu bien avant l’arrivée des Français.

Les historiens arabes, notamment Al-Maqrizi au XVe siècle, attribuent cet acte de vandalisme à un fanatique soufi nommé Mohammed Sa’im al-Dahr. Ce dernier, voyant des paysans faire des offrandes au Sphinx pour favoriser leurs récoltes, aurait détruit le nez en 1378 pour combattre ce qu’il considérait comme de l’idolâtrie païenne.

« Le Sphinx n’est pas seulement de la pierre ; c’est l’âme de l’Égypte qui nous regarde à travers ses yeux sans pupilles. » – Zahi Hawass.

Aujourd’hui, le monument fait face à des défis de conservation sans précédent, bien plus pernicieux que le vandalisme passé. La montée de la nappe phréatique, causée par l’urbanisation galopante du village voisin de Nazlet el-Samman, menace de déstabiliser les fondations et de dissoudre le calcaire par capillarité saline.

La pollution atmosphérique du Caire, les vibrations du trafic routier et le tourisme de masse ajoutent une pression constante sur cette structure fragile. Des programmes de restauration sophistiqués, utilisant des mortiers spéciaux et des systèmes de drainage, sont régulièrement mis en œuvre par le Conseil Suprême des Antiquités pour préserver ce patrimoine mondial de l’humanité.

FAQ : questions fréquentes sur le Sphinx de Gizeh

Qui a vraiment cassé le nez du Sphinx ?

Ce n’est pas Napoléon Bonaparte ni Obélix. Les sources historiques indiquent que le nez a été détruit volontairement au XIVe siècle par Mohammed Sa’im al-Dahr, un soufi iconoclaste qui voulait mettre fin au culte local rendu à la statue. Il fut d’ailleurs pendu pour cet acte de vandalisme.

Y a-t-il vraiment des passages secrets sous le Sphinx ?

Il existe plusieurs tunnels et cavités connus, dont un tunnel sans issue à l’arrière de la statue (creusé par des chercheurs de trésors au XIXe siècle) et une cavité sous la tête. Cependant, aucune « Salle des Archives » mythique ou réseau complexe menant aux pyramides n’a été officiellement découvert à ce jour, malgré de nombreuses analyses radar.

Quel âge a exactement le Sphinx ?

La datation officielle place sa construction sous le règne du pharaon Khéphren, vers 2500 avant J.-C., ce qui lui donne environ 4 500 ans. Les théories alternatives suggérant un âge de 10 000 ans ou plus, basées sur l’érosion par l’eau, ne sont pas validées par la majorité de la communauté scientifique archéologique.

Pourquoi le Sphinx a-t-il un corps de lion et une tête d’homme ?

Cette hybridation symbolise la combinaison idéale pour un souverain égyptien. Le corps de lion représente la force physique, la puissance féroce et l’invincibilité, tandis que la tête humaine (portant les attributs royaux) représente l’intelligence, la sagesse et le contrôle divin. C’est l’image de la puissance domptée par l’esprit.

De quelle couleur était le Sphinx à l’origine ?

Le Sphinx n’était pas de la couleur du sable comme aujourd’hui. Il était entièrement peint de couleurs vives. Des traces de pigments rouges sont encore visibles sur le visage et la coiffe, suggérant que la peau était ocre rouge (couleur masculine traditionnelle dans l’art égyptien) et que le némès était probablement rayé de bleu et de jaune.

Peut-on toucher le Sphinx lors d’une visite ?

Non, l’accès direct au monument est restreint pour des raisons de conservation. Les visiteurs peuvent l’admirer depuis une plateforme d’observation ou en descendant dans l’enceinte lors de visites spéciales, mais toucher la pierre est interdit pour éviter d’accélérer l’érosion causée par les huiles et l’acidité de la peau humaine

Sources et références

L’étude du Sphinx et du plateau de Gizeh ne se limite pas aux frontières de l’Égypte ; elle passionne également les institutions françaises qui œuvrent pour la préservation et la compréhension de ce patrimoine.

Pour les lecteurs désireux de consulter des sources institutionnelles et scientifiques fiables, l’UNESCO propose une documentation détaillée justifiant le classement de la zone de Memphis et ses nécropoles au patrimoine mondial, soulignant la valeur universelle exceptionnelle du site (https://whc.unesco.org/fr/list/86/).

Sur le plan artistique et historique, le Musée du Louvre, qui abrite l’une des collections d’antiquités égyptiennes les plus prestigieuses, offre des ressources précieuses pour comprendre la symbolique des sphinx royaux à travers ses collections en ligne (https://collections.louvre.fr/).

Enfin, pour suivre les avancées technologiques récentes, comme les missions de scan thermique ou de recherche de cavités, le magazine scientifique Sciences et Avenir relaie régulièrement les travaux des équipes internationales et françaises présentes sur le terrain (https://www.sciencesetavenir.fr/archeo-paleo/archeologie).

Ces références constituent un excellent point de départ pour quiconque souhaite distinguer les faits archéologiques des théories pseudo-scientifiques.