Parce qu’elle a été la cause première de la naissance et du développement de l’Inquisition, l’hérésie cathare tient une place toute particulière dans l’histoire de l’Église. Et parce qu’elle a vu la destruction de la noblesse du Sud et du pouvoir des comtes de Toulouse, elle tient aussi une place particulière dans l’histoire de France.
Mais alors que l’on se complaît à ne voir que les bûchers où périrent les cathares, on oublie bien souvent ce qu’était réellement cette religion, les rites qu’elle avait adoptés ou même la doctrine qu’elle enseignait.
C’est pourtant la connaissance de cette religion qui permet seule de comprendre ses origines, son expansion et son anéantissement final.
Résumé des points abordés
Des bogomiles aux Albigeois
On admet généralement que le catharisme est issu d’une autre secte hérétique bulgare : celle des bogomiles. Apparus au milieu du Xe siècle dans l’Empire byzantin, les bogomiles, aux dires de Cosmas qui leur a consacré en 970 tout un traité, étaient les disciples du pope Bogomil (ou Théophile).
Ils pratiquaient l’ascétisme et l’austérité, rejetaient le culte des images ou de la croix et niaient toute valeur aux sacrements. Seule comptait pour eux l’imposition des mains. Poussant à son extrême le dualisme présent dans certains passages de l’Évangile, ils voyaient le monde comme une création de Lucifer.
De fait, les bogomiles apparaissent comme les ancêtres directs des Apôtres ou Pauvres du Christ que l’on retrouve en Rhénanie au milieu du XIIe siècle, puis en Languedoc, où ils reçurent le nom d’Albigeois ou encore de Cathares — terme qui est en réalité une invention moderne.
Cette contre-Église bogomile s’était répandue dans toute la France, en Flandre, en Rhénanie, dans l’Empire byzantin et enfin dans les Balkans. Elle est le fruit d’un vaste mouvement de contestation qui, dès le XIe siècle, se manifeste un peu partout en Europe occidentale.
Ainsi, un chroniqueur évoque la condamnation de douze moines d’Orléans qui rejetaient la nature humaine du Christ, le sacrement de l’Eucharistie et ne pratiquaient qu’un seul sacrement : l’imposition des mains, « qui lave de tout péché et remplit du don du Saint-Esprit ». C’est là la définition exacte du consolamentum pratiqué par les Albigeois.
L’expansion languedocienne
En Languedoc, cette contre-Église vivait et enseignait ouvertement, au point qu’un concile se tint en 1167 à Saint-Félix-en-Lauragais, près de Toulouse. Ce concile témoigne de l’incroyable expansion du catharisme dans cette région plus que partout ailleurs.
Son objet était de créer dans le Languedoc, en plus de l’évêché d’Albi, ceux de Toulouse, de Carcassès et d’Agen, alors que toutes les autres régions de France réunies ne formaient qu’un seul évêché.
Les raisons d’un succès
Les causes de la réussite cathare sont multiples. La première tient au fait que les Parfaits prêchaient en langue vulgaire, lisant également l’Évangile dans la langue du peuple. Ce fut d’ailleurs le même atout pour les protestants au XVIe siècle.
En Languedoc, un autre facteur décisif entra en jeu : l’adhésion de la noblesse.
La noblesse d’Occitanie, déjà frondeuse à l’égard de Rome, critiquait volontiers l’Église. Certains seigneurs détournaient même la dîme à leur profit. Les Albigeois, eux, ne réclamaient rien, se désintéressaient du pouvoir et laissaient la noblesse s’adonner à la pratique du fine amor.
C’est cette noblesse qui fit le succès de la doctrine, la protégeant tout au long du XIIe siècle.
Une société des castrums
Contrairement au Nord de la France, les bourgs du Sud s’étaient construits autour du château seigneurial, formant des villages fortifiés (castrum) où se mêlaient toutes les couches sociales.
C’est dans ces castrum que les Albigeois, protégés par les seigneurs, ouvrirent leurs maisons de prière, sortes de couvents au cœur du monde. La population pouvait y constater l’ascétisme des Parfaits et assister à leurs prédications.
La doctrine dualiste
Selon les cathares, Lucifer est le maître du monde matériel. Leur doctrine est dualiste : il existe deux mondes, celui du Bien et celui du Mal, et deux dieux — Dieu le Père et Lucifer.
Dieu, le Bon, a créé les âmes, les cieux et les esprits. Le dieu du Mal règne sur la matière, le corps, tout ce qui est visible. Ainsi, le monde humain n’est pas l’œuvre de Dieu.
Les hommes sont des anges déchus, prisonniers d’un corps, symbole du Mal. Pour eux, l’Enfer est sur terre.
Le Christ, selon les cathares, n’a pas eu de corps réel : il est venu annoncer la délivrance prochaine des âmes. Le Saint Sacrifice de la messe n’est qu’un simple partage du pain. Ils nient le libre arbitre et prêchent la prédestination.
Rites et vie spirituelle
Les cathares n’ont laissé aucun vestige matériel : ni croix, ni église, ni icône, tout ce qui est visible étant mauvais.
Leur mode de vie est connu grâce aux procès des inquisiteurs. L’adhésion à la foi passait par le melioramentum, geste de respect envers un Parfait, consistant en trois génuflexions suivies d’un baiser de paix.
L’entrée dans l’Église cathare se faisait par le consolamentum, une imposition des mains purificatrice — baptême, ordination et absolution à la fois.
Les Parfaits, hommes ou femmes, devenaient dès lors les représentants de l’Esprit Saint, chargés de transmettre à leur tour ce sacrement.
Une vie d’abstinence
Les Parfaits vivaient dans une abstinence stricte : pas de viande, de lait, de fromage, d’œufs, ni de laitage. Seuls le poisson et l’huile étaient tolérés.
Trois carêmes de quarante jours étaient observés chaque année. Durant certains jours, ils ne consommaient que du pain et de l’eau. Les Parfaits vivaient toujours au moins à deux, pour se surveiller mutuellement.
Ils ne devaient ni mentir, ni jurer, ni tuer — pas même un animal, sauf le poisson.
À l’heure de la mort
Souvent, les croyants demandaient le consolamentum sur leur lit de mort, pour quitter ce monde purifiés. Si le malade guérissait, il devait alors vivre comme un Parfait.
Ceux qui recevaient le consolamentum devaient ensuite pratiquer l’endura, un jeûne de quarante jours, ce qui, pour un malade, menait généralement à la mort.
Un danger pour la société féodale
Retour à la pureté apostolique, ascétisme, rejet du monde matériel : tout cela séduisait le peuple, mais représentait une menace pour la société féodale.
En prônant la continence, les cathares risquaient d’entraîner une chute démographique. Leur refus de jurer ou de se soumettre rendait impossible le système de vassalité.
L’Église et la noblesse y voyaient un danger. Mais la croisade contre les Albigeois fut surtout politique : Philippe Auguste voulait soumettre les seigneurs occitans.
Sous couvert d’hérésie, les barons du Nord ravagèrent l’Occitanie : les seigneurs furent tués, leurs terres confisquées, leurs femmes mariées de force.
La fin des Parfaits ne fut que le prétexte à la fin de l’indépendance occitane.