Article | Le règne malheureux de Richard II

Si Édouard III déclenche la guerre contre la France en revendiquant la couronne, ce n’est pas tant par profonde conviction dynastique que par stratégie politique. En réalité, son ambition cachée était surtout de neutraliser les nobles anglais tentés par la dissidence.

Au départ, il manifeste peu d’empressement à faire valoir ses droits, et il faut attendre que Philippe VI s’installe fermement sur le trône pour qu’il engage sérieusement le conflit. Les premières années sont pourtant favorables à l’Angleterre. Les victoires de Crécy (1346) et Poitiers (1356) renforcent sa légitimité apparente.

Le contexte européen du XIVe siècle est marqué par une lutte de pouvoir permanente entre les grandes dynasties royales.

Mais la guerre s’éternise, transformant l’élan guerrier en fardeau. Le royaume d’Angleterre, frappé de plein fouet par la terrible peste noire entre 1347 et 1350, en ressort affaibli. À la mort d’Édouard III, en 1377, la situation intérieure est désastreuse. Le pouvoir est transféré à son petit-fils, fils du légendaire Prince Noir, mort prématurément.

Ainsi monte sur le trône Richard II, alors encore adolescent, entouré de tuteurs puissants mais intéressés.

Une révolte paysanne révélatrice : 1381

À peine monté sur le trône, Richard II est confronté à une épreuve inédite : une révolte paysanne de grande ampleur, qui éclate en 1381 après le refus d’un village de s’acquitter d’un impôt jugé arbitraire.

Ce soulèvement populaire se propage rapidement dans tout le sud de l’Angleterre, encouragé par un personnage hors norme : John Ball, un chapelain radical. Ce dernier prêche l’égalité et la justice sociale, convainquant les paysans d’exiger des réponses directement du roi.

La révolution de 1381 est considérée comme l’une des premières grandes révoltes fiscales de l’histoire anglaise.

Les insurgés prennent la route de Londres, enflamment les campagnes, et abattent tous ceux qu’ils associent au pouvoir. Lorsqu’ils atteignent la capitale, Richard II et ses conseillers se réfugient précipitamment dans la Tour de Londres.

La ville est livrée à la foule, parmi laquelle se glissent des criminels profitant du chaos. Le jeune roi décide alors de sortir à leur rencontre. Dans un champ près de la ville, il accorde des chartes de liberté pour apaiser les tensions.

La trahison d’un roi

Mais cette tentative de conciliation ne suffit pas. La révolte se ravive aussitôt. C’est alors que le maire de Londres commet un geste irréparable : il tue le chef des rebelles, ce qui rallume la colère de la foule.

Pourtant, dans un geste audacieux, Richard II se présente de nouveau, seul face aux insurgés, et réussit à calmer les esprits. Les révoltés acceptent de le suivre… pour être aussitôt massacrés par les troupes royales.

Ce moment dramatique marque une rupture durable entre le roi et le peuple anglais.

Ce stratagème, qui aurait pu passer pour une ruse politique, scelle en réalité l’image d’un roi froid, manipulateur et indigne de confiance. Le peuple ne l’oubliera pas. Bien que cet épisode n’entraîne pas immédiatement sa chute, il le condamne à long terme à une perte de légitimité.

La mémoire de cette trahison pèsera lourdement sur le reste de son règne.

Un coup d’État familial

L’erreur décisive de Richard II survient plusieurs années plus tard, avec une décision qui va sceller son destin. À la mort de son oncle, Jean de Gand, duc de Lancastre, le roi décide de confisquer l’héritage de celui-ci, spoliant ainsi son cousin Henri de ses droits.

Ce geste est perçu comme une violation flagrante des coutumes nobiliaires. Henri, en exil à ce moment-là, prépare patiemment sa vengeance.

Henri de Lancastre avait longtemps été tenu à l’écart, mais il conservait un large réseau de soutien en Angleterre.

En 1399, profitant de l’absence du roi, Henri revient en Angleterre avec une armée. Il s’empare du pouvoir sans grande résistance, grâce au soutien massif de la noblesse, lasse des errances politiques de Richard. Ce dernier est capturé, déchu et enfermé.

Henri est sacré roi sous le nom d’Henri IV (et non V comme indiqué à tort parfois), mettant un terme définitif à un règne chaotique et impopulaire.

Un roi effacé par l’histoire

Ainsi se clôt le règne de Richard II, incapable de maintenir l’équilibre entre les forces sociales et les clans familiaux. Il n’aura marqué l’histoire que par deux épisodes : la révolte paysanne de 1381 et l’usurpation de l’héritage du duc de Lancastre.

Ces deux fautes stratégiques, d’apparence différentes mais fondamentalement liées à un excès d’arrogance et un manque de lucidité politique, lui coûtent sa couronne et sa postérité.

Richard II est le dernier roi Plantagenêt à exercer un pouvoir sans partage avant l’avènement de dynasties plus pragmatiques.

On retient de lui l’image d’un souverain isolé, peu préparé, aux prises avec un royaume trop complexe pour ses capacités de gouvernance. Il incarne le basculement d’un Moyen Âge féodal vers une ère nouvelle, où les rois ne peuvent plus gouverner sans le consentement, au moins tacite, de leurs sujets et de leurs pairs.