Comment, sous couvert de modernisation, le président Al-Sissi a aggravé la mainmise de l’armée sur l’Égypte, engrangé une dette massive et appauvri son peuple en réprimant toute contestation. Le tableau documenté d’une situation explosive. 

Le 2 avril 2024, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, réélu l’année précédente avec 89,7 % des suffrages, inaugure sa « nouvelle capitale administrative » lors d’un défilé grandiose qui semble conçu par une IA. À une cinquantaine de kilomètres du Caire, ce mégaprojet construit sur le modèle de Dubaï, avec gratte-ciel et mosquée géante, relève du trompe-l’œil. Car les images de grandeur et de modernité dont le raïs inonde les écrans dissimulent un gouffre. Douze ans après le coup d’État fomenté par ce militaire de carrière, alors ministre de la Défense, contre le président Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans et élu après la chute de Moubarak, filmer la misère qui grandit en Égypte, et même l’évoquer publiquement peut mener en prison. En une décennie, alors que la dette a été multipliée par quatre, la part de la population vivant sous le seuil de pauvreté, qui n’est plus calculée, serait passée de 30 à plus de 40 %. Instrumentalisant les peurs et les intérêts de l’Occident (lutte contre le terrorisme, paix avec Israël, stabilité régionale…), l’homme fort de l’Égypte fait oublier son mépris total des droits de ses concitoyens. Dans le même temps, il a sacrifié ce qui restait de l’État providence et des services publics de santé et d’éducation à ses projets pharaoniques, et cessé de subventionner les produits de base. Pour obtenir des prêts, des pans entiers du territoire, dont les habitants sont expropriés, sont cédés à des investisseurs étrangers, notamment venus du Golfe. Une fuite en avant menée manu militari, puisque toute contestation est réprimée et que l’armée a étendu son emprise sur l’économie : pour se maintenir au pouvoir, Abdel Fattah al-Sissi sait qu’il doit enrichir ses hauts gradés.  

Risque d’effondrement

Moins de quinze ans après sa révolution de 2011, dans le sillage du printemps arabe, l’Égypte s’avère plus inégalitaire encore, et plus dictatoriale, que celle du général Hosni Moubarak. Combien de temps le troisième pays le plus endetté au monde auprès du FMI pourra-t-il éviter l’effondrement ? À la rencontre d’économistes, d’opposants en exil et de citoyens ordinaires, qui témoignent anonymement de leurs conditions de vie, ce tableau révélateur interroge aussi la position de l’Union européenne, et son choix de financer le système Al-Sissi, pourvu qu’il empêche l’émigration, notamment d’une jeunesse sans espoir constituant les deux tiers de la population.

Documentaire de Claire Billet et Nadia Blétry (France, 2025, 54mn) disponible jusqu’au 07/04/2028