Henri VIII : la voix de l’hérésie

Le 23 mai 1533, l’archevêque fraîchement désigné de Canterbury, Thomas Cranmer, préside le tribunal qui prononce le divorce d’Henri VIII, roi d’Angleterre, avec Catherine d’Aragon. La raison officielle ? La reine, déjà veuve du frère d’Henri, Arthur, était donc, aux yeux de l’Eglise, incestueuse.

Mais la raison officieuse était, bien sûr, que Catherine avançait en âge et que sur les six enfants qu’elle avait donnés au roi, seule une fille avait survécu. Le spectre d’un royaume tombant en quenouille se profilait.

Accessoirement, Henri avait également une remplaçante toute trouvée pour tenir la place de Catherine d’Aragon, sa maîtresse, Anne Boleyn.

L’excommunication d’Henri VIII et l’Acte de suprématie

Le roi avait certes tenté de passer par la voix officielle mais Rome s’obstinait à lui refuser cette annulation de mariage, malgré l’argument d’inceste. Le jugement de 1533 était donc sensé forcer la main de Clément VII, qui répondra, l’année suivante, par une excommunication.

Dès lors, Henri tente le tout pour le tout et publie, en 1534, l’Acte de suprématie qui accorde au roi et à ses successeurs le titre de « chef unique et suprême de l’Eglise d’Angleterre ». C’est l’acte de naissance officiel de l’anglicanisme.

Les conséquences du schisme: réactions et martyrs

L’affaire paraît assez simple « sur le papier », pourtant, elle est loin d’être entendue. Il y aura d’abord quelques réactions et deux martyrs célèbres, saint Thomas More et John Fischer (tués en 1535) ; le roi lui-même montrera des hésitations, préférant de loin l’option du schisme à la voie de l’hérésie.

D’ailleurs, à la fin de sa vie, il reviendra sur toutes les concessions faites aux protestants, rétablissant les sept sacrements, le culte de la Vierge et des saints et le célibat des prêtres (King’s book en 1543).

Les raisons de l’opposition à la papauté

De fait, Henri VIII n’a certainement jamais réellement voulu doter l’Angleterre d’une autre religion que celle de Rome. Et on voit mal comment un simple divorce aurait pu entraîner tout un pays vers une religion différente. C’est pourtant bien ce qui aura lieu et à cela, il y a plusieurs raisons.

Tout d’abord, l’opposition à la papauté. Elle n’est guère récente et, comme pratiquement tous les souverains d’Europe au Moyen Âge, les rois d’Angleterre vont tenter de limiter les droits du Saint Siège.

Henri Ier Beauclerc, fils de Guillaume le Conquérant, avait subi, dans une moindre mesure que l’Empire germanique, la querelle des Investitures –provenant du désir de la papauté de nommer elle-même les évêques, retirant de fait ce pouvoir aux souverains.

C’est également par opposition au Saint Siège, sensé empiété sur les coutumes anglaises, qu’Henri II Plantagenêt avait ordonné l’assassinat de saint Thomas Becket, alors évêque de Canterbury.

Quand au Grand Schisme d’Occident, qui déchire l’Eglise de 1378 à 1417, il jettera un tel discrédit sur la papauté qu’elle ne s’en relèvera que difficilement. Un discrédit que sauront largement exploiter les précurseurs de Luther, comme John Wycliff.

Le soutien que ce dernier avait d’ailleurs reçu en son temps (1379) de la part du peuple va tout simplement trouver un écho lors de la crise henricienne. Et, de fait, cette indépendance de l’Eglise d’Angleterre que Wycliff appelait de ses vœux, est une réalité dès l’avènement d’Henri VII, père de notre souverain. Le haut clergé administre alors directement l’Eglise d’Angleterre sans se soucier de Rome.

Le schisme d’Henri VIII: soutien du peuple et du clergé

Le schisme d’Henri VIII avait donc le soutien du peuple et du haut clergé, peu en enclin à abandonner ses prérogatives ; quant à la noblesse, elle lorgnait avec insistance sur les terres de ce même clergé –terres qu’elle s’appropriera.

On le voit, l’anglicanisme n’est guère différent, à l’origine, du gallicanisme français et seul un enchaînement de circonstances va conduire Henri VIII et l’Angleterre sur la voix de l’hérésie.