Un homme sans volonté, un roman plein de questionnements

Dans l’Insoutenable légèreté de l’être, Milan Kundera est formel : « L’homme ne peut jamais savoir ce qu’il faut vouloir car il n’a qu’une vie et il ne peut ni la comparer à des vies antérieures ni la rectifier dans des vies ultérieures. »  Est-ce par refus de cette vérité que Louis, le héros d’ « Un homme sans volonté », mène sa vie dans une valse d’hésitations, entre secrets, timidité et refoulement de ses désirs, face au carcan social dans lequel il évolue ? Ce n’est là qu’une des nombreuses pistes de réflexion ouvertes par le nouveau roman de Marc Desaubliaux. Il y explore les thèmes de la solitude et de la quête de soi, décrivant avec finesse une série de personnages évoluant dans la bourgeoisie parisienne des années 70. Nous lui avons posé quelques questions,autour de thématiques qui traversent son ouvrage.

Vous dépeignez un certain milieu de la haute bourgeoisie, est-ce que c’était pour le critiquer?

Marc Desabliaux : C’est vrai que je décris un milieu qui est aussi le mien d’une certaine façon, parce qu’effectivement, il y a des règles très strictes, on n’a pas trop le droit de s’exprimer, tu dois faire et te taire. En plus dans cette famille, il y a le cas d’Eugénie qui est anorexique. Et alors, les parents sont complètement pris par ce problème, et oublient complètement Louis, qui est laissé à lui-même et qui ne pose pas de problème. On s’occupe de la fille en perdition, c’est le grand désespoir de la famille. Je suis bien placé pour savoir que c’est une maladie qui ne se guérit pas, en tout cas à l’époque ça ne se guérissait pas. Donc lui il est l’oublié de l’histoire, parce qu’il ne fait pas de vagues. Et toutes les vagues qu’il peut faire, c’est hors famille. Il n’en parle pas, il ne dit rien, il cloisonne. C’est une des raisons pour lesquelles le grand duc de Russie l’envoie dans une sorte de mission là-bas, c’est qu’il se rend compte, lors d’un entretien avec lui, que c’est un garçon qui cloisonne parfaitement. Donc pour aller dans un pays comme ça, c’est idéal, car c’est quelqu’un qui rapidement se dit, « je suis untel, je suis pas untel, je ferme des portes ».  

Ce personnage peut apparaître comme l’exemple d’une certaine génération, issue de ce milieu-là, un peu désœuvrée. Le roman se déroule avant l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir. Est-ce que vous même, vous avez croisé beaucoup de personnes un peu désœuvrées, qui ne savaient plus vraiment quoi faire de leur vie ?

Oui, l’histoire se situe à partir de 1970, deux ans après 1968, mais il faut bien voir que dans beaucoup de ces familles-là, mai 68 c’est pas passé hein. Il y a eu des familles où ça a sauté, ça c’est vrai, mais il y en a beaucoup où c’est pas passé. Mais il y a quand même eu une libération des mœurs considérables, ce qui explique pourquoi Louis va se laisser aller à des choses très étranges, toutes sortes de comportements excessifs. Mais c’est en cachette. C’est sa soupape de sûreté, ça lui permet de survivre, parce qu’il faut bien dire que ses parents sont pas des marrants.

Cet « homme sans volonté » qu’est Louis, outre le fait d’être un éternel insatisfait, il semble se complaire dans une certaine souffrance, à laquelle il dit avoir pris goût, évoquant des « plats qu’on n’aimait pas mais qu’on finissait par apprécier à force de se contraindre à les manger. »

Oui, pour lui la souffrance c’est une façon de vivre, le bonheur l’ennuie. C’est quelqu’un qui va se battre seulement quand il sera dans la merde.

En sous-texte, est-ce que le tabou autour de la maladie de sa sœur peut jouer dans sa crainte d’exprimer ses désirs ?

La maladie de sa sœur, l’anorexie, c’est inavouable, je l’ai connu aussi. Cela ne doit pas se savoir, et ça a un impact sur sa personnalité. Il voit que ses parents cachent donc lui aussi se dit qu’il doit

cacher tout ce qui n’est pas acceptable par la société qui l’entoure. Donc il est amené à tout le temps dissimuler, la maladie de sa sœur il n’en parle pas. Et pourtant il en souffre terriblement, c’est une sœur qu’il aime. Avec sa sœur, c’est l’enfer à la maison, et il accepte par amour pour sa sœur, même si des fois il craque. Et il a aussi peur, comme sa mère, que son mariage capote, parce qu’elle a épousé un « de » (quelqu’un avec un titre de noblesse), grande nouveauté dans la famille. Et ça le travaille aussi.

Est-ce qu’il y a une volonté de votre part de ne pas faire de morale, et de laisser le lecteur se faire son idée sur le devenir des personnages?

Dans mes livres, j’ai l’habitude de faire deux choses. D’abord, j’essaye de ne pas faire la morale, et l’autre chose que j’aime bien faire, c’est faire participer le lecteur à mon livre. Il y a des moments où je le laisse imaginer ce qu’il veut. A la fin du livre je m’arrête, et chacun peut faire la conclusion qu’il souhaite. Le livre est un formidable instrument pour l’imaginaire, par rapport au cinéma ou au théâtre, parce qu’on crée ses propres images, ses personnages, et même des paysages. Mais en plus, si on peut amener le lecteur, par des silences ou des absences, à écrire lui-même une petite partie du livre, je trouve ça formidable.

Le site de l’auteur : https://www.marc-desaubliaux.fr/