Il a marqué d’une empreinte indélébile le théâtre, le cinéma et l’opéra. À l’occasion des dix ans de la disparition de Patrice Chéreau, Marion Stalens rend hommage à cette figure majeure de la scène européenne dans un beau portrait, intime et sensible.

Pendant près d’un demi-siècle, sa soif constante de se réinventer a bousculé le paysage artistique français et européen. Théâtre, cinéma, opéra : Patrice Chéreau a laissé une trace unique dans tout ce qu’il a entrepris. Né en 1944 dans un village d’Anjou, ce fils d’un peintre insatisfait et d’une mère dessinatrice a perçu très tôt quelle voie serait la sienne. « Dès que j’ai compris qu’il y avait quelqu’un derrière qui regroupait les énergies de tout le monde, qui fabriquait un spectacle, j’ai voulu être cette personne-là. » En prise avec les combats politiques de son temps – il milite à l’adolescence pour l’indépendance de l’Algérie –, résolu à toucher les publics les plus éloignés du théâtre, il se voit confier à 22 ans, en 1966, la direction de celui de Sartrouville, en banlieue parisienne. Il mettra douze ans à rembourser la dette de la faillite colossale qu’il y cause. Qu’importe, il est prêt à courir les scènes européennes, du Piccolo Teatro de Milan au Festspielhaus de Bayreuth, où avec Pierre Boulez il présente entre 1976 et 1980 une mémorable tétralogie de Wagner, en passant par le Berliner Ensemble dont la troupe, qu’il a observée et admirée dans sa jeunesse, perpétue le travail de Bertolt Brecht. Le monde peut être critiqué, changé : Chéreau n’a eu de cesse d’en attester en codirigeant avec Roger Planchon le TNP de Villeurbanne, en ouvrant en 1982 une école d’acteurs aux Amandiers de Nanterre, en montant les pièces de son contemporain Bernard-Marie Koltès ou en réalisant des longs métrages électrisants, comme L’homme blessé, son film le plus personnel, coécrit avec Hervé Guibert.

Audaces et lucidité

Metteur en scène et réalisateur prolifique à la présence magnétique, Patrice Chéreau (1944-2013) a pratiqué l’art de la remise en question pour façonner une œuvre novatrice, ancrée dans les problématiques sociales, politiques et culturelles de son temps. Pour feuilleter l’album de sa vie d’engagement et de création, Marion Stalens exhume de formidables archives dans lesquelles l’artiste hors norme qu’il fut se raconte, lui et son travail. Des proches, incontournables, témoignent de leur compagnonnage artistique : les comédiens Dominique Blanc, Pascal Greggory et Valeria Bruni Tedeschi, le scénographe décorateur Richard Peduzzi, le chorégraphe Thierry Thieû Niang et la scénariste Anne-Louise Trividic. Superbement agencées, toutes ces voix qui se répondent esquissent le portrait intime et sensible d’un homme dont l’itinéraire, les audaces et la lucidité furent pour beaucoup source d’inspiration, et dont les thématiques (l’exploration du désir, le corps), mais aussi les indignations demeurent profondément actuelles.

Documentaire de Marion Stalens (France, 2023, 1h30mn)

Disponible jusqu’au 31/12/2023.