De « La prisonnière du désert » aux « Raisins de la colère », John Ford a contribué à bâtir la légende américaine. Avec pour fils rouges la Monument Valley qu’il immortalisa de si belle manière et le silence farouche qu’il opposait aux intervieweurs, un portrait à la mesure du géant du cinéma américain. À la fois conteur et bâtisseur de la légende américaine, John Ford (1894-1973) fut bien plus qu’un grand faiseur de westerns. En près de cinquante ans de carrière et cent cinquante films, dont quelques monuments de l’histoire du septième art – La chevauchée fantastique (1939), Les raisins de la colère (1940), La prisonnière du désert (1956) ou L’homme qui tua Liberty Valance (1962) –, le cinéaste le plus oscarisé d’Hollywood (quatre trophées du meilleur réalisateur) n’a cessé de fixer sur pellicule le grand récit de l’Amérique, pour dépasser le mythe et révéler ses failles. Dans les paysages somptueux de l’Ouest sauvage, notamment la Monument Valley, entre l’Arizona et l’Utah, où il revint tourner inlassablement, il a d’abord forgé sa vision rêvée de son pays – une nation humaniste, solidaire, offrant aux hommes et femmes de bonne volonté la liberté infinie de ses grands espaces. Mais son œuvre, nourrie autant de l’histoire américaine que de son propre parcours, se fera au fil du temps plus sombre et plus ambivalente. Le réalisateur Jean-Christophe Klotz évoque avec finesse les multiples facettes d’un cinéaste qui refusa aussi obstinément les questions des intervieweurs que l’embrigadement idéologique : le fils d’immigrant irlandais assoiffé de reconnaissance, le vétéran profondément marqué par la Seconde Guerre mondiale, le témoin révolté par l’oppression des minorités, notamment indiennes, le taiseux fuyant ses propres gouffres dans des beuveries méthodiques… Au travers notamment de somptueuses archives, d’interviews de proches et de spécialistes de l’œuvre, comme de séquences tournées dans l’Ouest américain (par exemple auprès des Navajos qui perpétuent les luttes de leurs aînés, mais aussi d’un meeting de campagne de Donald Trump, venu s’approprier l’héritage de John Wayne, acteur fétiche du cinéaste), ce documentaire fait « parler » les extraits des films les plus emblématiques de John Ford. À l’image d’un géant qui, disait François Truffaut, « a inventé le western, et peut-être engendré le cinéma lui-même », un portrait documentaire plein de souffle, qui met en valeur les multiples résonances de l’œuvre. Documentaire de Jean-Christophe Klotz disponible jusqu’au 09/03/2022.