Infographie | 4 infos insolites sur les Ardennes belges

Loin de se limiter à une simple destination de villégiature pour les amateurs de randonnée, l’Ardenne belge est une entité géologique et historique complexe, dont les strates cachent des récits insoupçonnés.

C’est un territoire de paradoxes, où la terre s’ouvre sur des abîmes vertigineux et où le ciel peut déverser des quantités de neige dignes des latitudes nordiques.

Le vertige souterrain de la salle du Sabbat

Il faut se rendre à Rochefort pour comprendre que la majesté de l’Ardenne ne se mesure pas uniquement à la hauteur de ses crêtes, mais aussi à la profondeur de ses entrailles.

La Belgique est une terre de karst, et si les Grottes de Han sont les plus médiatiques, la Grotte de Lorette-Rochefort offre une expérience géologique d’une nature tout à fait différente, beaucoup plus verticale et intimidante.

Ce site, souvent qualifié de laboratoire naturel par les géologues, abrite un phénomène rare : une faille quasi verticale extrêmement active sur le plan tectonique. Mais ce qui marque les esprits, c’est la topographie unique de sa cavité principale.

Contrairement aux galeries horizontales classiques où l’on déambule aisément, la Grotte de Lorette plonge le visiteur dans une confrontation directe avec le vide.

Le clou du spectacle se nomme la Salle du Sabbat. Ce n’est pas une simple chambre souterraine, mais un véritable gouffre, une cathédrale inversée dont le plafond se perd dans l’obscurité.

La hauteur sous voûte est telle que, durant les visites guidées, une petite montgolfière est parfois libérée pour illustrer cette immensité. Elle s’élève lentement, portée par les courants d’air thermiques, révélant les dimensions colossales de cet espace : près de 60 mètres de hauteur.

Ce lieu tire son nom des légendes de sorcellerie qui peuplaient l’imaginaire local, le « Sabbat » désignant les assemblées nocturnes de sorcières. L’acoustique y est particulière, amplifiant le moindre chuchotement, et l’atmosphère y est chargée d’une humidité minérale qui rappelle que nous sommes ici dans le ventre actif de la terre.

C’est une visite qui ne laisse pas indemne, offrant un aperçu saisissant de la puissance de l’érosion hydrique sur le calcaire ardennais au fil des millénaires.

L’hiver historique de 1953 au signal de Botrange

Lorsque l’on évoque les sports d’hiver et les records d’enneigement, les regards se tournent naturellement vers les Alpes ou les Pyrénées. Pourtant, le toit de la Belgique, le Signal de Botrange, situé dans les Hautes Fagnes, détient des archives climatiques qui feraient pâlir certaines stations de moyenne montagne.

Ce plateau tourbeux, souvent comparé à une petite Sibérie, possède un microclimat rude, où les vents ne rencontrent aucun obstacle majeur depuis la mer du Nord. C’est ici, à 694 mètres d’altitude, que la Belgique a connu son épisode neigeux le plus extrême. Il faut remonter au 9 février 1953 pour trouver la trace de ce record absolu, qui n’a jamais été égalé depuis.

Ce jour-là, les relevés officiels ont indiqué une épaisseur de neige de 115 centimètres. Plus d’un mètre de poudreuse recouvrant les landes et les forêts de résineux. À cette époque, la région s’est retrouvée littéralement coupée du monde, les routes étant impraticables et les poteaux électriques disparaissant sous le manteau blanc.

Ce record témoigne de la violence dont peut faire preuve le climat fagnard. Les Hautes Fagnes fonctionnent comme une éponge géante, retenant l’eau et le froid. Même si les hivers récents sont plus cléments, la zone reste un pôle de froid redoutable.

L’immensité préservée de la forêt d’Anlier

Dans un pays aussi densément peuplé que la Belgique, où l’urbanisation grignote chaque parcelle de terrain, l’existence d’un espace sauvage continu relève du miracle. C’est pourtant ce que propose la Grande Forêt d’Anlier, située sur le versant méridional de l’Ardenne.

Souvent éclipsée par la notoriété de la forêt de Saint-Hubert, la forêt d’Anlier possède pourtant une caractéristique qui la rend unique : elle constitue l’une des plus vastes hêtraies d’un seul tenant du pays. Elle s’étend sur près de 7 000 hectares, formant un océan vert ininterrompu.

Contrairement à d’autres massifs forestiers morcelés par des autoroutes, des zones industrielles ou des villages, Anlier offre une continuité écologique rare.

Cette intégrité territoriale est cruciale pour la biodiversité. Elle permet à la faune sauvage de se déplacer sans heurts, favorisant la présence d’espèces timides et exigeantes. Le cerf y est roi, bien sûr, mais c’est surtout le royaume du chat forestier et de la cigogne noire.

Se promener à Anlier, c’est faire l’expérience de la solitude. On peut y marcher des heures sans croiser la moindre habitation ni entendre le bourdonnement lointain de la civilisation. Historiquement, cette forêt était le terrain des charbonniers et des sabotiers, des métiers aujourd’hui disparus mais dont on retrouve la trace dans la toponymie locale.

C’est une forêt de feuillus, majoritairement composée de hêtres majestueux dont les frondaisons filtrent une lumière dorée, créant une atmosphère bien plus lumineuse et vivante que les monocultures d’épicéas que l’on trouve ailleurs en Ardenne. Elle représente le véritable « poumon vert » de la province de Luxembourg.

L’ombre éternelle de Godefroy sur Bouillon

Perché sur un éperon rocheux dominant les méandres de la Semois, le Château de Bouillon est l’archétype de la forteresse médiévale imprenable. Ses murailles épaisses et ses souterrains humides transpirent l’histoire des croisades.

Mais au-delà de l’architecture militaire, le château est indissociable d’une figure légendaire : Godefroy de Bouillon.

La relation entre le château et son plus célèbre occupant navigue constamment entre la vérité historique rigoureuse et le mythe romantique. L’histoire retient que Godefroy a vendu son château à l’Évêché de Liège pour financer la Première Croisade.

Il a tout quitté, sacrifiant sa position en Ardenne pour un voyage sans retour vers Jérusalem, où il refusera le titre de roi pour celui, plus humble, d’Avoué du Saint-Sépulcre. Il mourra en Terre Sainte, loin des brumes de la Semois.

Pourtant, la légende est plus forte que la mort. Le folklore local et l’industrie touristique entretiennent l’idée que l’esprit du chevalier n’a jamais tout à fait quitté les lieux. Le château organise d’ailleurs des visites nocturnes aux flambeaux, jouant habilement sur cette corde sensible. Dans l’obscurité des couloirs de pierre, éclairés par la seule lueur vacillante des torches, il est facile de croire aux fantômes.

Dire que le château « abrite » le fantôme de Godefroy est une liberté poétique que l’Ardenne s’autorise volontiers. C’est une manière de lier éternellement l’homme à sa terre natale. Cette persistance du mythe témoigne de l’importance de Godefroy dans l’identité belge : il est le héros local devenu figure universelle.

Le visiteur qui arpente le chemin de ronde, battu par les vents, ne cherche pas seulement des pierres, mais une connexion avec cette épopée médiévale. Et dans le silence de la nuit ardennaise, la frontière entre l’histoire académique et la légende spectrale devient, pour le plus grand plaisir des rêveurs, délicieusement floue.