« Bella Ciao Istanbul ! » – Istanbul année 2020 : la fin d’un fantasme ?

Ecrit par Pierre Fréha et édité par les Editions MOST.

« Bella Ciao Istanbul » est un roman de l’écrivain Pierre Fréha, paru le 9 janvier 2023 aux Editions Most. Il s’accorde tout à fait à l’actualité, puisque l’année 2023 correspond au centième anniversaire de l’avènement de la République turque en octobre 1923. L’intrigue débute en 2020 lorsque la pandémie du covid-19 se répand sur la surface du monde.

Le livre raconte l’histoire et les mésaventures de Danilo Brankovic, un Français d’origine serbe expatrié volontaire en Turquie et installé à Istanbul dans le quartier conservateur de Fatih, le quartier « historique ». Ce roman, écrit à la première personne, démarre très rapidement et plonge le lecteur dans une atmosphère d’inquiétude et de peur. En effet, Danilo Brankovic, le personnage principal de l’histoire, vient d’avoir une rude altercation avec un employé d’une compagnie aérienne turque qui ne lui a pas remboursé ses billets d’avion suffisamment vite. C’est un sujet banal qui ressemble à une broutille de la vie quotidienne, mais Danilo s’est emporté. Débordé par ses émotions, il a d’abord durement critiqué la politique de remboursement de la compagnie puis s’est insurgé et a critiqué ouvertement le système politique de la Turquie, proférant des propos fâcheux et rappelant les épisodes tragiques du pays, tel le génocide arménien, les mouvements de population grecs… dont le gouvernement turc est, selon lui, responsable. Après cette vive discussion, Danilo a réfléchi aux conséquences de ses paroles vis-à-vis du gouvernement nationaliste turc et a réalisé qu’il avait fait une erreur… C’est en effet le début de ses problèmes et la peur va prendre le dessus de l’exaspération… « J’ai la trouille » dit’ il.

Au fil des pages, après cette confrontation, le lecteur va suivre les aventures de Danilo qui va petit à petit se retrouver incompris par la population turque de son quartier et mis à l’écart de tous… il est et va rester un éternel « yabanci », ce qui signifie « étranger ». Pire, dénoncé par l’employé de la compagnie aérienne il va être surveillé et menacé par la police. Même si aux yeux de Danilo, la notion de pays est relativement abstraite, la déception de ne pas être accepté dans ce pays choisi, pays idéalisé qu’il aime malgré tout, va déclencher chez lui un sentiment de haine qu’il va exprimer systématiquement avec violence et sans aucune nuance.

Il faut dire que le héros de Pierre Fréha n’est pas un homme de compromis, il ne recherche pas la simplicité et a plutôt tendance à rechercher les complications ! C’est un personnage très sanguin, acariâtre, toujours à « fleur de peau ». Cette situation d’étranger surveillé, non intégré, rejeté par ses voisins en fait un homme en pleine crise identitaire, sujet à tous les débordements. Mais, il n’a pas toujours été comme ça, car à son arrivée en Turquie il était très optimiste et positif.

Homosexuel, athée et humaniste il incarne inévitablement l’étranger voire l’ennemi, aux yeux de la Turquie majoritairement nationaliste de 2020. Toutefois, Danilo Brankovic n’aurait jamais imaginé devoir se confronter au système nationaliste et militariste du Président Erdogan. La rancœur est alors tenace et la critique systématique fuse ! Tout y passe … La cuisine traditionnelle, les gens qui vous écrasent les pieds par derrière, les chiens drogués et bien sûr le système politique… Il n’est jamais content et a toujours besoin d’un interlocuteur à qui se confronter, souvent en tout mauvaise foi.

Malgré tout, il a des amis turcs, grecs, français qui tentent de l’orienter pour qu’il souffre moins de sa situation, mais Danilo reste toujours suspicieux et provocateur. Il a notamment une amie d’origine bretonne, Anne-Marie Prigent, journaliste totalement intégrée au système turc et qui compose avec le système. Mais Danilo ne la comprend pas « Tous les jours elle rappelait sa présence au monde francophone d’Istanbul, un peu comme un chien pissant pour se faire connaitre auprès de ses congénères », « sa neutralité m’exaspérait ! ».

L’auteur qui a vécu une dizaine d’années à Istanbul, exprime au travers de son personnage, sa douleur de constater que la Turquie est dirigée par une politique militariste, une dictature impitoyable pour les autochtones et suspicieuse pour les étrangers.

Le livre explore également sans filtre les thèmes de la conversion à l’islam et au christianisme. Il aborde même le sujet de la transformation de la basilique Sainte Sophie en mosquée ; Sainte Sophie, héritage de Constantinople et de Byzance, prônant le mélange des cultures, qui a si longtemps été un musée pour les touristes du monde entier.

Dans la deuxième partie du livre, Danilo Brankovic sera injustement mêlé à un acte de sabotage d’activistes turcs. Ces militants utiliseront les haut-parleurs des mosquées pour diffuser le chant révolutionnaire italien « Bella Ciao » à travers toute la ville à la fin du ramadan ; un sacrilège qui plait à Brankovic. Mais il n’imagine pas les retombées de cet « outrage » …

« Bella Ciao Istanbul » est un roman politique inquiétant sur la situation politique et sociale de la Turquie actuelle. L’auteur ose dénoncer les vices et les dérives d’un système corrompu où le nationalisme est très prégnant. Ce livre courageux est aussi l’histoire d’un homme qui tombe amoureux de la ville d’Istanbul, ou plutôt de Constantinople et de Byzance. Malheureusement l’histoire d’amour a mal tourné, la tristesse et la déception l’ont emporté… c’est la fin d’un fantasme !

Anne Gallou
Le 05/03/2023
Site de l’auteur : https://istanbul-bellaciao.fr/
Bella Ciao Istanbul, Auteur : Pierre Fréha – Most Editions – 276 pages -18,90 €

Focus sur les Editions MOST

Pierre Fréha est courageux et talentueux en écriture mais les Editions Most ont également fait le choix audacieux de publier ce livre réactionnaire sur le système politique de la Turquie en 2020. Les éditions Most (Most signifie « le pont » en russe) sont nées du projet personnel des deux fondateurs, tous deux amoureux de littérature. Trouvant difficile de s’enfermer dans une seule activité et souhaitant « vivre au milieu des livres », ils ont décidé de céder aux sirènes de leur passion commune et de créer les Editions Most.

Elle est Kazakhe et parle le kazakhe et le russe ; lui est italien francophone. C’est à l’occasion d’un voyage au Kazakhstan en pleine période de dislocation de l’Union Soviétique qu’ils se sont rencontrés et ont partagé leur engouement pour le monde des livres. Malgré leur multi-linguisme, ils souhaitent pour l’instant éditer essentiellement des auteurs francophones et pensent intégrer à leurs publications, dans un futur qu’ils espèrent proche, des auteurs russophones. Leur leitmotiv : « construire et traverser des ponts », brasser des langues et des cultures et s’enrichir des différences.

Vous pouvez acheter leurs publications sur leur site (7 ouvrages actuellement) et déposer vos manuscrits qui seront lus avec enthousiasme !

https://www.mosteditions.com/
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