XVIIIe siècle, Normandie. Marguerite, faisant partie de la classe sociale la plus pauvre, n’a pour seul moyen de gagner sa vie que de vendre son lait. Alors elle fait le voyage jusqu’à Paris pour aller chercher des nourrissons de la haute société qui lui rapportent plus d’argent que ceux des bourgeois de sa région.

Marguerite et François sont mariés et ont six enfants. François est fendeur à la forge. Marguerite elle, est nourrice. Nous sommes en 1745 en Normandie, à Rânes. Les bourgeois ont pour habitude de placer leurs enfants en nourrice à la campagne. Ainsi, les femmes d’artisans se montrent plus disponibles pour leur mari, elles peuvent continuer à sortir en société, à garder leurs relations… Mais jusque-là, alors que c’étaient les propriétaires terriens qui plaçaient leurs nourrissons chez leurs meilleurs fermiers, les méthodes évoluent. Plutôt que de se déplacer, les bourgeois cherchent des intermédiaires fiables qu’ils trouvent en la personne du curé du village. L’homme de Dieu devient alors le garant de ce système qui, au fil des années, prend de l’ampleur. Dans le village de Rânes comme partout ailleurs dans un périmètre de 200 kilomètres autour de Paris, les nourrices sont de plus en plus nombreuses. En effet, il s’agit de l’un des rares métiers qu’elles peuvent exercer en obtenant des revenus décents. Dans le même temps, à Paris, la natalité augmente, et l’hôpital des Enfants Trouvés se voit confier de plus en plus de nourrissons (enfants abandonnés et enfants légitimes que les familles n’ont pas les moyens d’entretenir). Un système de voiturage est alors instauré pour emmener les nourrices sur Paris et récupérer des bébés à allaiter…

Au Sein de Paris nous raconte l’histoire de Marguerite, cette nourrice normande qui va faire le voyage à de nombreuses reprises pour aller chercher des nourrissons sur Paris. L’histoire commence en 1743 et se termine en 1791. C’est donc dans un contexte historique très fort qu’on la suit, avec sa famille, et qu’on voit évoluer le métier de nourrice, mais aussi la condition des femmes en général, les mentalités, la place de l’église dans la vie de tous les jours…

Car ce roman historique est loin de parler que des nourrices. On retrouve par exemple avec beaucoup de plaisir la passion de l’auteur pour les faïenceries qui ont une place très importante car elles apportent beaucoup de travail aux habitants (l’un des fils de Marguerite y apprend le métier). Tout ce qui touche à cette entreprise est minutieusement détaillé. Christian De la Hubaudière a d’ailleurs écrit plusieurs livres sur le sujet, regroupés en une saga intitulée « La Vierge de faïence ».

Ancien instituteur, on ressent dans son écriture son intérêt pour l’histoire en général. Son récit est merveilleusement bien documenté. On s’y croirait presque. Et les personnages qu’il dépeint sont très attachants. On se passionne pour l’histoire de Marguerite, mais aussi pour son fils qui s’initie à la faïencerie, pour sa fille qui devient dentellière. Et on avance, en suivant cette famille, au sein de cette période qui voit les femmes s’émanciper petit à petit en gagnant leur vie en tant que nourrices, mais aussi la condition des enfants trouvés s’améliorer pour ensuite se détériorer lorsque les choses commencent à aller mal à Paris, et les mentalités qui changent, le fossé qui se creuse entre les bourgeois et les classes les plus pauvres…

Il y aurait tant à dire sur ce merveilleux roman ! L’histoire des nourrices normandes est superbement intégrée à la grande Histoire. L’écriture est très accessible et en même temps très fouillée. Le sujet est très poussé historiquement parlant, tout en étant passionnant. Un roman à lire !