Stanley Kubrick s’exprimait peu. Ce documentaire envoûtant fait entendre la parole rare d’un cinéaste aussi génial que secret, au travers des entretiens qu’il a accordés au critique de cinéma Michel Ciment. Inspirés des célèbres travellings de Kubrick, de lents mouvements de caméra nous promènent dans un musée labyrinthique, au décor inspiré de « 2001 : l’odyssée de l’espace ». Le documentaire a été primé dans la catégorie « programmation artistique » au Emmy Award 2021. Vingt ans après sa mort, tout semble avoir été dit sur Kubrick. Méfiant à l’égard des journalistes, préférant communiquer par l’image plutôt que par les mots, le cinéaste américain (et britannique d’adoption) s’est en revanche peu exprimé publiquement, ce qui a contribué à épaissir le mystère qui l’entoure. Auteur d’un ouvrage de référence sur le réalisateur (« Kubrick », réédité par Calmann-Lévy en 2011), le critique de cinéma Michel Ciment, également directeur de la revue « Positif » et chroniqueur au « Masque et la plume », fait partie des rares journalistes à l’avoir interviewé à plusieurs reprises, nouant un dialogue au long cours qui s’est déroulé sur près de trois décennies. Les enregistrements sonores de ces entretiens constituent le socle de ce documentaire. D’une voix douce et posée, Stanley Kubrick s’y livre comme rarement, racontant sa manière de travailler et la genèse de ses films. Il évoque les années où il pratiquait le photojournalisme « en lumière naturelle » au magazine « Look », apprenant ainsi à composer une image. Avec un bel humour à froid, il se moque de son film de jeunesse « Fear and Desire », au « script arrogant et désinvolte (nous pensions être des génies) », coup d’essai où il reconnaît néanmoins une volonté précoce de ne pas se cantonner au pur divertissement. Son côté obsessionnel transparaît lorsqu’il raconte tranquillement comment il a découpé des milliers d’ouvrages de peinture pour la préparation des costumes de « Barry Lyndon » ou comment, en démiurge casanier, il a recréé l’enfer du Viêtnam à quelques kilomètres de chez lui pour « Full Metal Jacket ». Par son dispositif esthétique envoûtant, le documentaire restitue l’atmosphère intimiste de ces conversations cinéphiles, moments privilégiés auxquels il nous semble participer. Inspirés des célèbres travellings de Kubrick, de lents mouvements de caméra nous promènent dans un musée imaginaire et labyrinthique, au décor virginal inspiré de « 2001 : l’odyssée de l’espace ». Ils nous entraînent dans les méandres d’une œuvre faussement civilisée où couvent la violence et l’irrationnel, comme le montrent les extraits de films, d’interviews de Michel Ciment ou de comédiens et de techniciens racontant leur collaboration à la fois éprouvante et exaltante avec Kubrick. Des archives privées, parfois inédites, renforcent l’effet hypnotique de cette mise en abyme. Documentaire de Gregory Monro