Article | Jules César : la conquête du pouvoir et la chute d’un mythe

En 509 avant J.-C., la royauté étrusque s’effondre sous la pression d’un peuple en quête de liberté. À sa tête, Lucius Brutus devient le symbole d’un nouvel ordre républicain. Quatre siècles plus tard, un homme venu du même sang mythique – descendant d’Énée, de Vénus, et du légendaire Iule – entreprend de restaurer une forme de royauté abolie.

Cet homme s’appelait Caius Julius Caesar. Il y gagnera la gloire… mais y perdra la vie.

Le jeune César : des origines divines à la montée en puissance

Neveu de Caius Marius, grand général de la République, et gendre de Cinna, Jules César bénéficie dès sa jeunesse d’un réseau d’influence sans égal. Il revendique une ascendance divine, se rattachant à la déesse Vénus elle-même, et à Iule, fils d’Énée.

Pourtant, peu auraient parié sur ce jeune patricien, réputé frivole, dépensier et séducteur.

« L’histoire aime les retournements de destin : ce noceur indiscipliné deviendra l’un des plus grands stratèges de son temps. »

Classé naturellement parmi les « populaires », il gravit sans bruit les marches de la carrière des honneurs : questeur en 69 av. J.-C., édile en 65, préteur en 62, il est élu consul en 59. À cette occasion, il fonde avec Crassus et Pompée le premier triumvirat, alliance politique inédite.

Son génie militaire se confirme peu après par la conquête de la Gaule et la fameuse défaite infligée à Vercingétorix à Alésia.

La guerre des Gaules : un tremplin vers la dictature

César, nommé gouverneur de la Gaule en 58 avant J.-C., y voit un terrain d’expansion et de gloire.

La révolte menée par le jeune chef arverne Vercingétorix devient le théâtre d’un affrontement décisif. Grâce à des stratégies audacieuses, il réussit à soumettre toute la Gaule, liant à lui ses légionnaires par la loyauté et l’admiration.

« L’armée de César ne le suivait pas par devoir, mais par fidélité personnelle, presque religieuse. »

La mort de Crassus en 53 précipite la rupture avec Pompée. Le Rubicon franchi, César viole délibérément les lois de la République. En 48 avant J.-C., il bat son ancien allié à Pharsale. La victoire est totale : le Sénat est réduit au silence, et César s’arroge l’autorité suprême.

L’art de la propagande et la séduction du peuple

César ne se contente pas de conquérir par l’épée. Il maîtrise aussi l’image et le récit. Dans ses Commentaires, il se peint en héros pragmatique, en défenseur de Rome. Sa communication, brillante et calculée, s’accompagne de triomphes somptueux et de généreuses distributions.

« Panem et circenses : pain et jeux. César avait bien compris la psychologie du peuple romain. »

Ses campagnes en Égypte, en Numidie et en Espagne l’élèvent au rang de héros impérial. Il commande désormais près de quarante légions, une force sans égale. Le peuple l’adule, les soldats le vénèrent : ne reste plus qu’à plier le Sénat à sa volonté.

Dictateur à vie : la fin de la République ?

En 44 avant J.-C., Jules César devient dictateur perpétuel. Il concentre tous les pouvoirs entre ses mains, annihilant peu à peu les institutions. Il impose aux sénateurs un serment d’allégeance absolue, transforme sa fonction en magistrature héréditaire et se drape en habits royaux.

Plus encore, il obtient de son vivant le titre de Divin Jules.

« Le Sénat n’était plus qu’une chambre d’enregistrement, soumise à la volonté d’un seul homme. »

Son influence est telle que Rome cesse de fonctionner en son absence. La République n’est plus qu’un décor vide, une façade : César règne sans partage, et commence à faire planer l’ombre d’une monarchie.

La tentation de la royauté : une erreur fatale

Mais les Romains, marqués par des siècles d’hostilité à la royauté, ne sont pas prêts à accepter un roi. Lors des fêtes des Lupercales, Marc Antoine tente de poser une couronne sur la tête de César. Devant le silence glacial de la foule, ce dernier la repousse théâtralement.

« Je suis César, et je ne suis pas roi ! » : cette déclaration sauve momentanément son image publique.

Malgré cette manœuvre, l’opinion commence à se retourner. Le Sénat frémit. Des statues décorées de bandelettes royales déclenchent des répressions et des tensions. Deux tribuns du peuple, qui s’opposent à ces signes de royauté, sont brutalement démis de leurs fonctions par César.

Le complot des ides de mars : une tragédie annoncée

La méfiance monte. César multiplie les provocations, et même ses proches commencent à douter de ses intentions. Plus de soixante sénateurs entrent en conspiration. Parmi eux : Cassius, Marcus Brutus, Decimus Brutus.

Ils hésitent, tâtonnent, puis choisissent de frapper le 15 mars, jour où César est convoqué au Sénat dans la salle de Pompée.

« César, méfie-toi des ides de mars ! » : la prophétie de l’aruspice Spurinna résonne encore aujourd’hui.

Des signes surnaturels se multiplient : chevaux en pleurs, oiseaux déchaînés, rêves prémonitoires de Calpurnie… Mais César, convaincu de son invincibilité, ignore les avertissements. Ce jour-là, il entre au Sénat comme à son habitude. Il n’en sortira pas vivant.

L’assassinat de César : vingt-trois coups pour un seul homme

À peine assis, il est entouré sous prétexte d’une requête. Cimber Tullius lui arrache la toge. César tente de résister, mais Cassius le frappe dans le dos. Puis les autres suivent. Il est poignardé vingt-trois fois. En voyant Marcus Brutus, il lâche la phrase restée célèbre :
« Et toi aussi, mon fils ? »

« Le meurtre d’un dictateur dans un Sénat transformé en théâtre tragique : un acte aussi symbolique que sanglant. »

Son corps est abandonné sur le sol. Trois esclaves le ramènent chez lui, un bras pendant hors de la litière. Les conjurés, terrorisés par la réaction populaire et la force de Marc Antoine et de Lépide, renoncent à toute confiscation ou réforme.

Un crime politique fondateur

L’assassinat de Jules César n’était pas un cas unique dans l’histoire des civilisations anciennes. Des rois sont morts de la main de leurs proches bien avant lui, dans les cours d’Assyrie ou d’Égypte.

Mais ce crime, par ses motivations politiques clairement établies, par ses acteurs connus et par sa documentation précise, est le premier que l’histoire nous raconte dans ses moindres détails.

« La mort de César inaugure une tradition : celle des assassinats d’État, des meurtres politiques pour protéger une certaine idée du pouvoir. »

Ce drame va plonger Rome dans une guerre civile terrible, marquant le début de la fin de la République. Il ouvre la voie à Octave, futur Auguste, et donc à l’Empire romain. César meurt, mais son nom deviendra un titre impérial : César, puis Kaiser, Tsar… Son destin dépasse les limites de sa vie.