Landru : le sieur de Gambais

Jeanne Cuchet, veuve, 39 ans ; Line Laborde, veuve, 47 ans ; Marie-Angélique Guillin, veuve, 52 ans ; Berthe-Anna Héon, veuve, 55 ans ; Anna Collomb, veuve, 39 ans ; Lyane Jaume, en instance de divorce, 36 ans ; Andrée Babelay, célibataire, 19 ans ; Célestine Buisson, veuve, 44 ans ; Annette Pascal, divorcée, 36 ans ; Marie-Téhrèse Marchadier, célibataire, 39 ans.

Elles sont veuves pour la plupart, souvent d’âge mûr -si l’on excepte Andrée Babelay- et, à défaut de « prince charmant », rêvaient de s’établir, de convoler. C’est exactement ce que leur proposait Henri Désiré Landru, un homme d’apparence quelconque, petit, à moitié chauve mais qui, en ces années 1914-1919, avait le mérite de ne pas être au front, de ne pas être mort.

L’impact de la guerre

Il est certain que la « carrière criminelle » de Landru aurait été toute autre sans cette guerre qui devait laisser le pays exsangue, ses fils dans la boue des champs de bataille. Le nombre d’hommes est alors plus que réduit alors que celui des veuves, à l’inverse, ne cessent d’augmenter. Dire que certaines femmes étaient moins « regardantes » serait trop facile.

Car si Landru eut le succès qu’on lui connaît, il est certain qu’il le dut à son charme autant qu’à la situation des femmes en France pendant la guerre. Une guerre qui, simplement, devait faire quelque peu oublier la prudence généralement de mise. Une guerre qui allait révéler chez lui ses instincts les plus meurtriers.

Les débuts de Landru l’escroc

Rien, apparemment, ne destinait Landru à être un tueur en série. Issu d’une famille modeste mais travailleuse, Henri Désiré a 22 ans lorsqu’il se marie -en 1891- avec Marie-Catherine Rémy. Elle lui donnera quatre enfants et, avec elle, il semble mener une existence des plus ordinaires.

Mécanicien, comptable, vendeur, fabricant de bicyclettes : Landru enchaîne les métiers pendant dix ans avant de se tourner vres une activité plus lucrative : l’escroquerie. Mais Landru n’est pas si doué que cela : deux ans de prison en 1904, treize mois en 1906, trois ans en 1910. Tel est le « palmarès » de Landru.

Assez pitoyable s’il n’y avait, déjà, une escroquerie à l’annonce matrimoniale. Ce sera la dernière arrestation de Landru. L’affaire se déroule à Lille et lui rapportera quelques 10 000 francs.

Les premiers crimes

En fait, on peut sérieusement se demander ce qui va motiver réellement les crimes de Landru. En effet, en cinq ans de méfaits, après onze meurtres -en effet, le fils de Jeanne Cuchet, sa première victime, mourra également de la main de Landru-, Henri Désiré ne récoltera pas plus de 35 642 francs.

Une misère au vu des risques encourus ; une misère au vu de l’investissement, en temps et en argent. Car Landru n’a pas ménagé sa peine. Lorsque la guerre éclate, en 1914, Landru est déjà sous le coup d’une quatrième condamnation par contumace ; une condamnation pour laquelle il devrait se voir infliger la relégation à Guyane.

Doté d’une fausse identité, il prend la fuite, devient déserteur… et reprend ses escroqueries. Sa dernière affaire, notamment, sera le cœur de son dispositif. Amélioré.

Le piège de Landru

M. 47 ans, traitement 4 000 francs et économies, allant s’établir en colonie, désire conn. Vue mariage, Dame âge indif. Situation même modeste si seule, qui consente à le suivre. Proposition sérieuse. Agence et interm. s’abstenir.

Voilà l’annonce que Landru va passer dans les journaux. C’est peu dire que l’appât va fonctionner à merveille : près de 300 femmes répondront à ses annonces.

Landru, quant à lui, met sur pied une organisation méticuleuse : répondant sous 90 pseudonymes, louant 7 appartements, 2 maisons, 2 garages, il dresse des sortes de « fiches signalétiques » sur les femmes qui lui répondent. Et à celles qui l’intéresse, il renvoie une lettre, identique :

Je voudrais un amour durable, des sentiments qui puissent assurer un bonheur durable. Je suis assez indépendant pour vous déclarer, tout de suite, que, de mon côté, les conditions d’avoir financier n’entreront en rien dans le choix d’une épouse.

Une douce musique pour ces femmes. Une musique fausse comme le prouve la lecture du carnet de Landru.

De fait, si cette affaire est si intéressante, a tant passionné à l’époque, c’est aussi en raison de ce fameux carnet. Un carnet sur lequel Landru notait la situation familiale, financière, le physique de ses correspondantes.

Un carnet dans lequel il note toutes les dépenses, comme l’achat d’un aller et retour et d’un aller pour Gambais ; un carnet qui va devenir une pièce à conviction essentielle dans le dossier de l’accusation.

Le dévoilement du crime

Landru aurait pu poursuivre longtemps ses méfaits si les familles des victimes de ce don Juan n’avaient fini par s’inquiéter. La famille de Madame Buisson, celle de Madame Collomb ont déjà écrit au maire de Gambais -dans les Yvelines- où leurs parentes semblent avoir disparu. Mais le fiancé de ces dames est alors un certain monsieur Fremyet… que personne ne connaît à Gambais.

Le 9 avril 1919, le hasard veut que la sœur de Madame Buisson, mademoiselle Lacoste, croise le fameux Fremyet à la Samaritaine, à Paris. Elle tente de la suivre puis prévient la police… qui, deux jours plus tard, arrête un certain Guillet, alias Henri Désiré Landru dans l’appartement qu’il partage avec sa maîtresse rue Rochechouart.

Les preuves contre Landru

Dans l’appartement et dans un garage qu’il loue, la police découvre des vêtements féminins, de la lingerie, une perruque, des valises, du mobilier, des pièces d’identité -90, on l’a dit-, un fichier portant le nom de 283 femmes et des carnets de compte, minutieusement mis à jour. I

Interrogé, Landru garde le silence mais la découverte d’ossements carbonisés dans sa cuisinière de Gambais relance l’affaire.

Le procès et la défense

Il faudra pas moins de deux ans et demi, notamment en raison du silence de Landru, pour parvenir à ficeler l’instruction. En novembre 1921, à Versailles, s’ouvre son procès. L’assistance est nombreuse tant le mythe Landru fascine. N’a-t-on pas trouvé quelques 4 000 bulletins de vote portant son nom aux dernières élections ?

La défense de Landru, admirablement soutenue par son avocat, Me Moro-Giafferi, est toujours la même : il est escroc, certes, mais d’assassinats, point. De fait, malgré l’accumulation de preuve, le manque de cadavres pose problème et engendre même le doute. C’est là-dessus que compte Moro-Giafferi qui, à la fin du procès, tente d’emporter la conviction du jury :

– Regardez cette porte, leur enjoint-il. Regardez ! Elles sont là, dans l’antichambre du prétoire ; elles attendent pour entrer ; les prétendues victimes de Landru, elles vont apparaître… La porte va s’ouvrir…
Tout tourne la tête et l’avocat de conclure :
-Vous voyez bien que votre conviction n’est pas faite !

Un coup de maître, mais un coup dans l’eau. Car son client n’a pas suivi. Tout le monde a regardé la porte… sauf lui.

Le verdict et l’exécution

Après trois heures de délibérations, Henri Désiré Landru est condamné à la peine capitale. Il sera exécuté le 23 février 1922 dans la cour de la prison.