En extraits de films et d’archives qu’elle commente elle-même, Isabelle Huppert transmet sa vision et son amour du jeu. Un (auto)portrait à la fois pudique et intime, qui fait renaître derrière le monstre sacré les multiples visages de l’actrice.

C’est l’hiver dans les jardins du Palais-Royal. À la journaliste qui l’interroge sur sa « plus grande ambition », la débutante rétorque en souriant : « Toutes. » Premier ou second degré ? Malice ou rêverie ? Dans son gros gilet de laine, avec ses joues rondes et ses cheveux blond-roux, cette Isabelle Huppert à peine sortie de l’adolescence possède déjà l’art de se tenir à distance, tout en restant vigoureusement présente. Son mystère, son ironie, son intensité ont marqué un demi-siècle de cinéma, dans une extraordinaire filmographie de près de cent cinquante œuvres. On les retrouve avec bonheur au fil des vingt extraits de films qu’elle a choisis pour composer avec William Karel cet (auto)portrait mosaïque, entremêlés d’archives (films de famille, entretiens) et commentés par elle-même, de Malina, de Werner Schroeter, qui sert de fil rouge à ce « message personnel » adressé au spectateur, à Elle, de Paul Verhoeven, en passant par Les valseuses, La dentellière, Violette Nozière, La porte du paradis, Loulou, Sauve qui peut (la vie), La cérémonie ou La pianiste… Ce tourbillon de visages et d’histoires, qu’elle émaille de ses souvenirs et de la perception de son métier, installe peu à peu avec l’actrice une intimité d’autant plus émouvante que ses incarnations successives font palpiter en nous de bouleversantes réminiscences de cinéma.

« L’art du vrai »

Par le montage s’esquisse ainsi une biographie atypique, entre allégorie cinématographique et réflexion sur l’art, ou peut-être « l’artisanat » des comédiens, dit-elle en citant une phrase glissée par Yves Montand sur le tournage de César et Rosalie. Y sont évoqués Claude Chabrol, Michael Haneke, Jean-Luc Godard, Maurice Pialat, Benoit Jacquot ou Michael Cimino, comme le plaisir qu’elle a eu de tourner avec sa fille Lolita Chammah ou son rapport au théâtre – cet « art du faux », par opposition à « l’art du vrai » que serait, selon Bresson, le cinéma. Isabelle Huppert ne franchit pas pour autant la frontière qu’elle a toujours préservée entre « son occupation préférée », c’est-à-dire « faire des films », et sa personne privée. Mais l’ambivalente alchimie entre l’écran et la vie, qui fait la magie du septième art, porte de bout en bout ce voyage au plus près d’une femme qui entend « rester [elle]-même » dans chacun de ses rôles, et ne peut s’imaginer arrêter de jouer. « J’y pense souvent, s’amuse-t-elle. Mais je ne le ferai jamais. »

Documentaire de William Karel disponible jusqu’au 17/08/2022.