Entre le sculptural des représentations à cornes de Michel-Ange et le sirupeux des péplums hollywoodiens, pourra-t-on sauver des eaux caricaturales, le personnage de Moïse ? Figure symbolique et identitaire dont se sont emparés les trois monothéismes, Moïse le prophète, avec pour seule arme le secret des noms de Dieu, a transformé son bâton en serpent, affronté le buisson ardent, les dix plaies d’Égypte et le Veau d’or, a su faire jaillir l’eau d’un rocher et provoquer une pluie de manne dans le désert, a séparé la mer Rouge, recueilli les dix commandements avant de briser les tables de la Loi, et a conduit son peuple jusqu’en terre promise sans y entrer, s’arrêtant au seuil de Canaan pour y mourir. Un inachèvement qui l’éloigne de la pure incarnation d’un surhomme : on peut aussi déchiffrer dans le destin de cette petite vie abandonnée au fil du Nil dans sa corbeille de roseaux, une humilité et une fragilité qui en feront toute sa grandeur.
Mais l’homme sans tombeau n’a-t-il jamais existé autrement que dans les rêves de peuples qui réclamaient des lois gravées dans la pierre pour asseoir leur légitimité ? Car la légende de Moïse se retrouve aussi dans le Coran et jusque chez les Grecs et les Romains. Le prophète aura marqué notre inconscient théologique, politique, législatif et symbolique – y compris laïc – au point de conduire Sigmund Freud lui-même à tenter d’en approcher le mystère.