Ils trouvent dans l’enseignement supérieur l’opportunité de faire des rencontres différentes de leur milieu d’origine. Ces jeunes Indiens éduqués aspirent à vivre selon leur cœur. Un choix aux conséquences dramatiques, et parfois même mortelles. Dans l’amphithéâtre d’une université de New Delhi, un homme tempête à la tribune : « Au nom de tous les gens qui croient à l’amour dans le pays, nous ne laisserons pas s’effacer la mémoire de Niru et de tous les autres qui continuent de payer de leur vie leur foi en l’amour. » Etudiante de 22 ans, Nirupama a été étouffée par ses parents en 2009. Son crime ? Etre tombée amoureuse d’un garçon que les siens refusaient d’accepter comme gendre. « C’est notre devoir à tous de lutter contre ça. Nous devons tous avoir le droit de choisir notre vie », assure le fiancé de la disparue. Se mettre en tête d’épouser un partenaire d’une caste ou d’une religion différentes contre l’avis de sa famille, c’est s’exposer à de terribles représailles. Chaque année en Inde, les crimes d’honneur feraient ainsi un millier de victimes. Des crimes qui demeurent généralement impunis car non reconnus par la loi indienne. Contraints de fuir pour vivre leur amour, plus de deux mille jeunes couples ont trouvé refuge en deux ans dans la maisonnette de 10 m2 que met à leur disposition à New Delhi un groupe de volontaires. C’est dans cet abri de fortune qu’une poignée d’amoureux comme Kartik (hindou) et Ashia (musulmane), Bhaskhar et Puja (tous deux hindous, mais de castes différentes), ou encore Sapna (hindoue) et Maazar (musulman) peuvent souffler un peu. « Nous ne faisons rien de mal ; nous ne faisons que nous battre pour nos droits », explique Kartik. Résolus à s’engager l’un envers l’autre, Kartik et Ashia se rendent dans le seul temple en Inde où l’on accepte de marier ces « amants maudits ». Comme ces deux jeunes gens, une dizaine de couples reniés par leur famille s’y disent « oui » tous les jours.
Vivre sous la menace…
Les amoureux qui osent braver les interdits de caste ou de religion sont reniés par leurs familles.
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Séquestrée et maltraitée pendant deux ans par ses parents, puis mariée de force à un paysan du Rajasthan, Sapna a pris la fuite pour retrouver Maazar, celui qui fait battre son cœur. Après quatre mois passés au refuge de New Delhi, elle a accepté de le rejoindre à Baroda, sa ville natale du Gujurat. Pour avoir déshonoré les siens, Sapna est une jeune femme traquée : « Ces trois dernières années, j’ai été traitée comme un animal et partout où j’ai demandé de l’aide, raconte-t-elle, que ce soit auprès du gouvernement ou de la police, personne ne m’a écoutée. » Depuis qu’il a noué une relation amoureuse avec Puja, Bashkar, désavoué par une partie de sa famille, a perdu son emploi dans une grande banque indienne. Pour tenter d’arracher le pardon de son père, il emmène Puja à Bombay. La rencontre entre les deux hommes laisse augurer d’un possible pour le couple : « Nous avons été très en colère, mais combien de temps pouvons-nous tenir comme cela ?, interroge son père. Je n’ai qu’un seul fils et je me suis dit qu’il fallait assumer, qu’il fallait l’aimer quoi qu’il ait fait. Tout cela parce que ces mariages entre castes différentes, c’est mal vu. On ne fait pas ça, c’est tout. […] Mais là, cela va trop loin, on en est à prendre des vies. Certains sont prêts à tuer pour ça, à tuer le garçon et la fille.» Les familles qui n’ont pas renié leur enfant sont menacées, parfois même mises au ban de leur communauté. Affolés par le mauvais exemple donné par un fils, de nombreux pères empêchent désormais leur fille de poursuivre des études supérieures. Pourtant, rappelle une étudiante, considérée comme une paria par les siens : « Aimer n’est pas un crime… »