Il a été et sera pour l’éternité le jeune adolescent de « Mort à Venise ». Sacrifié sur l’autel du septième art, le « plus beau garçon du monde », selon Visconti, a vécu sa vie dans l’ombre d’un double immortalisé sur pellicule. Un documentaire pudique sur l’hiver d’un homme qui a trop tôt donné l’absolu.

Dans une Venise qu’il sait en proie à une épidémie de choléra, Aschenbach, au lieu de fuir, s’enfonce dans la déchéance, puis meurt sur la plage du Lido après avoir une dernière fois contemplé Tadzio. Dans les pleins feux du soleil jouant sur l’eau argentée, le jeune garçon se retourne légèrement et nous regarde, une image immortelle. L’enfant qui l’a offert à Visconti, Björn, désormais à l’hiver de sa vie, est resté captif de ce double au visage suffoquant de beauté, qui a embrasé l’imaginaire collectif. Le succès du « plus beau garçon du monde », selon le réalisateur, a été soudain et total. « Je voulais être ailleurs et être quelqu’un d’autre », confie Björn, placé sous antidépresseurs lors de la tournée qui suivit le film, alors que certains fans l’attendaient armés de ciseaux, pour lui voler des boucles de cheveux. « Comme un rêve surréaliste », observe-t-il. Dépossédé de son reflet après Mort à Venise, Björn a longtemps vécu reclus, en ermite, entravé par la perfection qu’il avait offerte – sans saisir la portée du sacrifice – à Visconti et au monde.

Eros et Thanatos

Lors du tournage, Visconti avait affirmé, en parlant de son choix de casting : « Il n’y a pas de danger de glisser dans la sexualité, ce qui serait une grave erreur. » L’erreur était ailleurs : le jeune Björn perdra une part de lui-même dans le tourbillon du succès, sa personnalité d’adolescent timide écrasée par le poids archétypal de Tadzio, entre Eros et Thanatos. Avec pudeur et délicatesse, les documentaristes filment le vieux Björn et les miettes de son quotidien, ses déambulations, ses silences, transcendés par un regard perçant, inchangé. « Des yeux couleur de l’aube », écrivait Thomas Mann pour décrire le Tadzio de sa Mort à Venise, tandis que Visconti, lui, résumait : « Celui qui regarde la beauté regarde la mort. »

Documentaire de Kristina Petri et Kristian Lindström (Suède, 2019, 53mn)

Disponible jusqu’au 28/07/2024