Près de trente ans après la fin de la guerre qui l’a ravagée, la Bosnie semble proche de l’éclatement. Un décryptage éclairant de la crise actuelle, entre tentations sécessionnistes, corruption à grande échelle et ingérences étrangères.

En Bosnie, la guerre en Ukraine a réveillé le souvenir traumatique du conflit interethnique qui décima le pays (100 000 morts) entre 1992 et 1995. Vingt-huit ans après la signature des accords de Dayton, qui mirent fin au massacre – dont l’horreur culmina à Srebrenica, où plus de 8 000 Bosniaques, hommes et adolescents, furent exécutés par les forces serbes -, l’avenir du petit État des Balkans apparaît en effet plus fragile que jamais. Point de rencontre des mondes musulman, orthodoxe et catholique, le pays aux trois peuples « constitutifs » (Bosniaques, Serbes et Croates) et aux deux entités (la Republika Srpska et la Fédération bosno-croate) fait face aux menaces de sécession du prorusse Milorad Dodik, le président des Serbes de Bosnie, et à la montée en puissance des nationalistes croates, qui réclament la création d’une troisième entité, avec l’appui de Zagreb, pourtant membre des Vingt-Sept. Face à la crise, Bruxelles a accordé à la Bosnie le statut de pays candidat à l’Union européenne en décembre 2022. Mais alors que Sarajevo doit s’efforcer de répondre aux critères d’adhésion, la corruption explose depuis plusieurs années, liée aux influences étrangères qui s’exercent dans la région. D’une complexité effarante – une présidence tripartite tournante, 14 gouvernements, 165 ministres, des quotas ethniques à tous les niveaux… -, les institutions politiques mises en place en 1995 favorisent, elles aussi, la paralysie.

Dangereuse instabilité

« Dayton a fait de la Bosnie un État dysfonctionnel, irrationnel et non démocratique », résume Ivo Komsic, ancien maire de Sarajevo et membre de la délégation bosniaque dans l’Ohio. Donnant la parole aux principaux leaders politiques (Milorad Dodik, mais aussi Dragan Covic, le chef de file des nationalistes croates, Bakir Izetbegovic, le fils du premier président de la Bosnie indépendante, ou Christian Schmidt, haut représentant de l’ONU en Bosnie-Herzégovine) et à des membres de la société civile militant pour plus de démocratie, ce documentaire sonde l’héritage complexe de l’accord de paix et dresse un état des lieux aussi approfondi qu’inquiétant de la situation géopolitique actuelle. Alors que les tensions font craindre un risque d’éclatement, qui, de Bruxelles, Washington, Moscou, Pékin ou Ankara, gagnera la lutte d’influence en cours dans les Balkans ?

Documentaire de Pierre-Olivier Francois (France, 2023, 52mn)
Disponible jusqu’au 21/01/2024