La chronique délicate d’enfances brisées par l’abandon, tournée entre 2019 et 2020 dans un foyer d’accueil de l’est de l’Ukraine, alors que la guerre y sévissait déjà depuis cinq ans. Un documentaire nommé aux Oscars 2023.

« Ici, la vie a toujours été rude, mais la guerre a aggravé la situation. » À Lyssytchansk, ancienne ville industrielle de l’est de l’Ukraine, dans un foyer temporaire pour mineurs, Margarita, Olga et Angelika accueillent avec dévouement et tendresse un flot constant d’enfants retirés à la garde de leur famille. Le conflit déclenché en sous-main par la Russie cinq ans plus tôt a brisé nombre de foyers déjà précarisés par le chômage et l’alcoolisme, et un nombre croissant de parents n’assument plus leur rôle. Pour une durée de neuf mois, une trentaine de jeunes pensionnaires, de la petite enfance à l’adolescence, trouvent là un refuge provisoire en attendant que leur destin se décide : retour chez eux, si les parents regagnent la confiance de l’administration et de leurs tutrices, placement chez des tiers ou départ redouté pour un « internat ».

Survivre au désastre
Après Oleg, une enfance en guerre, déjà tourné dans la région, le Danois Simon Lereng Wilmont a filmé toute une année, de l’automne 2019 à l’automne 2020, le quotidien de cette « maison bâtie sur les larmes », comme le résume Margarita en voix off, ou « faite d’éclats », selon le titre original (« A House Made of Splinters »), au plus près de quatre de ces enfants déchirés. Est-ce parce qu’ils luttent au jour le jour pour survivre au désastre, ou parce qu’ils se savent en terrain de confiance, que ces trois petites filles et ce jeune garçon se laissent approcher avec tant d’abandon ? Un réveil collectif en douceur, la séparation brutale d’une fratrie, une cruelle prophétie enfantine… : le réalisateur capte avec une empathie pleine de délicatesse les jeux, les confidences, les bonheurs fugaces, la révolte ou la détresse indicibles, comme autant d’éclats de vie brute. « Chaque enfant laisse ici une trace indélébile », dit encore Margarita, racontant aussi que l’histoire se répète, et qu’elle a maintes fois vu revenir, adultes, d’anciens pupilles devenus à leur tour des parents défaillants. Au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, est-il précisé dans le générique de fin, les enfants du foyer et leurs trois marraines ont été évacués vers l’ouest du pays, sauvés ainsi des bombes, mais non de la dévastation de cette guerre, restée hors champ dans le film, et pourtant déjà palpable.

Documentaire de Simon Lereng Wilmont (Danemark, 2021, 1h28mn)
Disponible jusqu’au 15/05/2023