Article | Le rôle des femmes dans le haut Moyen Âge : entre pouvoir, alliances et légitimation

Le rôle des femmes et la délimitation de leur sphère d’influence évoluent lentement au cours du haut Moyen Âge, c’est-à-dire entre le Ve et le XIe siècle. Le jeu des mariages et l’apparition de certains titres permettent de lire cette évolution avec finesse.

Longtemps, les historiens – et avec eux l’opinion commune – ont véhiculé l’image d’un haut Moyen Âge sanglant, barbare, et dépourvu de place pour les femmes. L’épisode fameux de Frédégonde et Brunehaut illustre cette vision.

Certes, la noblesse vivait encore selon les anciennes règles tribales germaniques, mais l’idée que la femme n’y tenait aucun rôle semble aujourd’hui rétrograde. De plus en plus de chercheurs se penchent désormais sur cette époque, notamment sur la place des femmes sous les Mérovingiens et Carolingiens, bouleversant ainsi bien des idées reçues.

Des traditions germaniques au contact romain

En 476, l’Empire romain d’Occident tombe définitivement entre les mains des peuples dits barbares venus de Germanie. Les Burgondes, Wisigoths et Francs qui déferlent sur la Gaule introduisent non seulement de nouveaux modes de vie, mais aussi un autre système de pensée, avec une hiérarchisation et une organisation sociale différentes.

Les premiers témoignages sur les tribus germaniques nous viennent d’auteurs tels que César et Tacite. Ces derniers décrivent une société communautaire, où les décisions, y compris guerrières, étaient prises par un conseil familial incluant des femmes.

À l’origine, il semble même que la succession se transmettait par les femmes. Ce n’est qu’avec le contact romain – notamment sur le limes – et le développement de la guerre comme activité principale que la primauté masculine s’est imposée.

Cependant, les femmes ont continué à jouer un rôle, notamment lorsqu’un chef de tribu mourait en laissant un enfant héritier. Dans ce cas, la mère assurait la régence jusqu’à la majorité du garçon. Ainsi, après la mort de Théodoric le Grand en 526, c’est Amalasonte, mère de Athalaric, qui prend les rênes du pouvoir.

Mais après le décès prématuré de ce dernier en 534, Amalasonte, tentant de conserver le pouvoir, est écartée par les guerriers. Les femmes n’avaient donc un pouvoir officiel qu’avec l’« excuse » de la régence.

Brunehaut : une régente visionnaire

La célèbre reine Brunehaut gouverne d’abord l’Austrasie durant la minorité de son fils Childebert II, puis pendant celle de ses petits-fils Théodebert II et Thierry II. Plus qu’une simple régente, elle se révèle être une véritable stratège politique.

Son action vise à affirmer l’autorité royale sur l’ensemble du royaume franc, une vision unitaire et autoritaire du pouvoir, en opposition aux ambitions de l’aristocratie. Cette volonté centralisatrice était peut-être trop en avance pour un temps aussi instable…

« Brunehaut fut sans doute l’une des premières figures féminines à chercher une légitimité politique autonome, en dehors du seul rôle de mère ou d’épouse. »

Mais si Brunehaut échoue à gouverner directement, elle excelle dans un autre domaine du pouvoir : l’influence conjugale, comme en témoigne son affrontement sanglant avec Frédégonde.

La guerre des reines : Frédégonde contre Brunehaut

Tout commence lorsque Sigebert, petit-fils de Clovis, épouse Brunehaut, une princesse wisigothe. Son frère, Chilpéric, roi de Neustrie, jaloux, répudie sa femme, écarte sa concubine Frédégonde et épouse Galswinthe, sœur de Brunehaut.

Mais Chilpéric préfère les trésors apportés par Galswinthe à sa personne et la fait assassiner peu après, reprenant Frédégonde.

Poussée par la vengeance, Brunehaut convainc Sigebert d’attaquer son frère. C’est le début d’un conflit de plus de trente ans, marqué par trahisons, assassinats et manipulations, entre les deux reines les plus redoutées du haut Moyen Âge.

Le mariage comme outil politique

À la fin du VIe siècle, le pouvoir par alliance matrimoniale devient un enjeu fondamental. Les tout premiers Mérovingiens l’ont bien compris : ils bâtissent leur autorité par des mariages stratégiques.

Selon l’historienne Régine Le Jan, ces alliances reposent sur des pratiques exogamiques (mariages hors du clan) et le renouvellement constant des liens entre peuples. Les Mérovingiens épousent donc des princesses thuringiennes, burgondes, wisigothes ou lombardes, et marient leurs filles à des souverains voisins.

Mais dès la seconde moitié du VIe siècle, les souverains estiment leur autorité assez forte pour épouser des femmes de rang inférieur, voire non-libres : Austregilde, Frédégonde, Nanthilde ou Bathilde. Seul Sigebert conserve l’ancien système, en épousant Brunehaut. Ses frères choisissent quant à eux des aristocrates franques ou des concubines.

Les chroniqueurs, cependant, marquent une différence nette entre épouses royales et non royales. Brunehaut est immédiatement reconnue comme reine, tandis que Frédégonde n’obtient ce titre qu’après avoir donné un fils à Chilpéric.

« La maternité devient, dans cette société, le véritable critère de reconnaissance du statut féminin. »

Un statut féminin ambigu dans la loi germanique

La loi germanique accorde à l’homme une prééminence dans le mariage, notamment sexuelle : la polygamie est autorisée pour l’homme, tandis que l’adultère féminin est sévèrement puni. Mais le statut des femmes se révèle dans les dédommagements légaux.

Chez les Germains comme chez les Scandinaves, toute offense pouvait être compensée par une somme d’argent. Et le tarif d’une offense faite à une femme est souvent plus élevé que celui infligé à un homme :

  • 200 sous pour un meurtre d’homme ou de femme,
  • 600 sous si la femme tuée était en âge de procréer,
  • 800 sous si elle était enceinte.

Le rôle légitimateur des femmes à l’époque carolingienne

Dans cette société fondée sur la force guerrière, hommes et femmes n’ont pas les mêmes prérogatives. Pourtant, même les plus puissants rois carolingiens reconnaissent la valeur légitimatrice des femmes.

Selon Régine Le Jan, les femmes « légitiment le pouvoir exercé par les hommes de leur famille » par leur noblesse d’origine. Le mariage entre égaux renforce ainsi l’autorité royale.

Sous les Carolingiens, ce principe devient central. Le roi, désormais sacré, tire sa légitimité non seulement de l’onction religieuse, mais aussi de sa filiation. D’où l’importance de la mère :

« Le roi est roi, car il est le fils du roi. »

Pépin le Bref et l’évolution symbolique de la reine

Un tournant décisif a lieu avec Pépin le Bref, qui est béni en même temps que son épouse Berthe au Grand Pied. C’est une première. Désormais, la reine est associée à la fonction royale et au caractère sacré du pouvoir. L’union légitime dynastiquement le roi.

Les Carolingiens adoptent ensuite une double politique :

  • Hypogamie : alliance avec l’aristocratie locale pour renforcer leur pouvoir intérieur.
  • Restriction des mariages de leurs filles, pour éviter la dispersion des terres royales.

Cette stratégie consolide leur trône et assure la fidélité des grands du royaume. Ce n’est qu’à la fin de la dynastie que l’on retrouve des reines étrangères, mais alors les Carolingiens dominent déjà toute l’Europe.