Jeune femme noire de 25 ans en butte au racisme, Ghofrane Binous se présente aux législatives tunisiennes d’octobre 2019. Au travers de sa trajectoire, ce documentaire exaltant dessine en creux l’image subtile d’une société en pleine mutation. « Je n’aimais pas me voir en photo. Je les ai toutes détruites. […] Mais je me suis rattrapée en grandissant. » De ses mains manucurées, une jeune femme noire parcourt des clichés de famille dont elle s’est minutieusement effacée, tout en ravivant des souvenirs d’enfance indélébiles, entre douceur du foyer familial et violence scolaire. Victime de discriminations raciales – à l’instar de ce professeur de collège qui la surnommait « Bûche brûlée », ou des chauffeurs de taxi qui refusent toujours de la transporter –, Ghofrane Binous a lutté contre l’humiliation par le militantisme associatif, avant de s’exhiber fièrement sur les listes du parti Tahya Tounes (« Vive la Tunisie »), fondé en 2019 par l’ancien chef du gouvernement Youssef Chahed. Des blanches ruelles de son quartier populaire tunisois, où des gamins désœuvrés l’aident à tracter, aux étals des marchés, où les colères se nourrissent de toujours plus de précarité, d’un dîner de famille à Gabès, son oasis natale du sud du pays, à des retrouvailles sororales dans un institut de beauté, avec inventaires sentimentaux à la clé, la jeune candidate aux élections législatives mène campagne avec une conviction de tous les instants. Mais sur le terrain comme dans sa vie intime, dans un contexte de délitement des partis traditionnels et de crise économique persistante, sa farouche détermination se fracasse parfois sur la défiance, l’exaspération et les désillusions de la population. Au plus près de sa lumineuse héroïne, dont elle a su saisir la vitalité débordante comme les fêlures cachées (« Je veux entretenir le mythe auprès de ma famille que je suis quelqu’un d’invulnérable »), la cinéaste Raja Amari (Satin rouge, Printemps tunisien) suit, au fil des semaines, son parcours galvanisant et trébuchant. Ghofrane porte tout à la fois la voix d’une jeunesse qu’on entend peu, de femmes sous-représentées en politique (deux ans avant la nomination au poste de Première ministre de Najla Bouden par le président Kaïs Saïed, qui vient par ailleurs de s’arroger tous les pouvoirs) et d’une minorité noire en butte à un racisme tabou. Tour à tour drôles et profondes, toujours touchantes, les séquences saisies sur le vif au cours de sa quête composent un portrait subtil et éclairant de la Tunisie d’aujourd’hui, engagée dans un processus complexe, et parfois chaotique, de construction démocratique, huit ans après le premier des “printemps arabes”. “révolution de jasmin. Documentaire de Raja Amari.