Il était le plus célèbre des opposants à Vladimir Poutine, celui contre lequel le Kremlin n’avait de cesse de s’acharner : Alexeï Navalny est mort en détention le 16 février. Raconté par ceux qui l’ont côtoyé au quotidien, le parcours parfois contradictoire d’un combattant au courage indéniable. 

Rescapé en août 2020 d’une tentative d’empoisonnement au Novitchok, le poison favori des services secrets russes, hospitalisé à Berlin, puis arrêté dès son retour à Moscou et condamné au total à dix-neuf ans de prison pour « extrémisme », Alexeï Navalny, 47 ans, était le seul opposant ayant su conquérir en Russie une véritable popularité depuis que Vladimir Poutine a pris le pouvoir, au premier jour de l’an 2000. Transféré en secret dans un camp de l’Arctique sous un régime particulièrement sévère, l’ancien avocat continuait d’appeler la Russie à la résistance, jusqu’à sa mort annoncée le 16 février par l’administration pénitentiaire. Mais au-delà de son impressionnant courage, qu’est-ce qui animait celui qui s’est peu à peu révélé comme un redoutable animal politique ? Militant prodémocratie n’ayant jamais vraiment renié son flirt xénophobe avec l’extrême droite nationaliste, au début de sa carrière, il a construit au fil du temps une puissante machine médiatique, grâce à laquelle sa dénonciation féroce de la dictature et de la corruption a fédéré des milliers, puis des millions de supporters. En 2013, sa campagne pour la mairie de Moscou lui permet de remporter 27 % des suffrages face au candidat du pouvoir, malgré la fraude. Après sa dénonciation de la guerre déclenchée en sous-main contre l’Ukraine, en 2014, sa tentative pour se présenter à la présidentielle, quatre ans plus tard, en fait définitivement l’homme à abattre pour le Kremlin.

À l’instinct 
Aujourd’hui exilé en Allemagne, le journaliste russe Igor Sadreev, qui a suivi Alexeï Navalny pendant plus de quinze ans, exhume ses archives et part à la rencontre de ceux, proches et partisans, financeurs, journalistes, adversaires, collaborateurs, qui l’ont côtoyé au fil du temps. Ce portrait « de l’intérieur », tissé de leurs témoignages contradictoires, expose ainsi la cohérence et les zones d’ombre d’un itinéraire forgé en partie par les persécutions du pouvoir. De ses racines ukrainiennes à son enfance soviétique, de ses premières vidéos, parfois ouvertement racistes, à ses faits d’arme anticorruption (dont la visite du plus gigantesque des palais de Poutine, reconstitué en 3D), des compagnons de route qu’il a excommuniés et calomniés à son art du contact direct avec toutes les couches de la population, Igor Sadreev révèle un combattant à l’instinct, hostile au compromis, capable de dérives mais prêt à payer de sa vie son engagement contre l’absolutisme. Le documentaire retrace aussi le durcissement progressif du pouvoir et sa concentration dans les mains d’un seul homme, sardoniquement résumée ici par la répétition des serments d’intronisation dans lesquels l’éternel président, mandat après mandat, jure rituellement de « respecter et protéger » les droits de l’homme et du citoyen.

Documentaire d’Igor Sadreev et Aleksandr Urzhanov (Allemagne, 2024, 1h29mn)
Disponible jusqu’au 15/08/2024