Située aux confins de l’Europe et au seuil de l’Asie, mais n’appartenant ni à l’une ni à l’autre, la Turquie a grandi dans un sentiment d’identité flottante prompte à toutes les rêveries. Une sorte de mélancolie qui pousse au retrait sur soi et au renoncement, comme le rappelle le prix Nobel Orhan Pamuk. Ce nouvel épisode de L’Europe des écrivains, dont le principe est de radiographier l’âme d’un pays par le prisme de ses auteurs, démontre pourtant que les turbulences politiques de ces dernières décennies ont profondément remanié les rapports des artistes à leur patrie. Le sentiment commun à Orhan Pamuk, Sema Kaygusuz et Elif Shafak pourrait être celui de l’intranquillité. Aucun des trois auteurs ne peut rester insensible aux dérives autoritaires des gouvernements successifs et à la purification culturelle perpétrée contre certaines minorités. « Plutôt que de le rejeter, faire l’effort de comprendre l’islam politique a plus de valeur à mes yeux », explique cependant Orhan Pamuk. Elif Shafak, condamnée en 2006 comme Pamuk pour « outrage à l’identité turque » du fait de ses écrits sur le génocide arménien, a aussi déploré la nationalisation de la langue turque, « lavée » de ses influences arabes et perses. Plus optimiste, Sema Kaygusuz note le récent travail de mémoire, le refus de refouler les faits les moins glorieux. Condition essentielle pour affronter un présent perturbé, au vu des récents troubles contestataires.