Comment vit-on lorsque l’on découvre que son nom, son prénom, sa date de naissance ne sont que mensonge ? Lorsque l’on apprend que sa famille n’est pas sa vraie famille ? Ces questions existentielles, des centaines d’Argentins nés pendant la dictature du général Videla, entre 1976 et 1983, se les posent. Notre reporter est parti à leur rencontre. En Argentine, pendant la période noire de la dictature, près de 500 bébés ont été arrachés par la junte militaire à leurs parents, des opposants de gauche qui étaient arrêtés, torturés et souvent exécutés. Les jeunes mères, accusées « d’être des militantes actives de la machinerie du terrorisme », selon les termes du dictateur Jorge Videla, étaient tuées de sang froid ou jetées à la mer, depuis un avion militaire en plein vol… Selon les organisations de défense de droits de l’Homme, en Argentine, environ 30 000 opposants ont été tués ou ont disparus sous le régime militaire, entre 1976 et 1983. Les nouveau-nés, qui avaient souvent vus le jour en prison ou dans des maternités clandestines, étaient donnés comme butin de guerre à des familles de militaires ou de proches du régime. Adoptés, on leur attribuait un nouveau nom et une nouvelle date de naissance. Une identité factice. En 1983, alors que le chapitre de la dictature se referme et qu’un gouvernement civil est élu démocratiquement, un groupe de femmes, « les Grands-mères de la place de Mai », se lance activement à la recherche de leurs petits-enfants disparus. Aujourd’hui, 40 ans après le putsch de 1976 qui a porté la junte militaire au pouvoir, et grâce à un travail d’enquête titanesque, aux témoignages et aux tests ADN, 119 personnes ont pu retrouver leur véritable identité et leur famille biologique. Un documentaire Bertrand Devé est parti à la rencontre de ces hommes et de ces femmes qui ont subi un choc schizophrénique, en découvrant parfois que ceux qui croyaient être leurs parents étaient en fait « des monstres », et qui tentent désormais de renouer avec leurs racines et de se reconstruire.