1970. Alors que Coco Chanel, 87 ans, est au crépuscule de sa vie, la vieille dame chic au collier de perles s’entretient avec Jacques Chazot. « Je me suis toujours battue », lâche l’éternelle « Mademoiselle », confite dans sa légende. Fille d’une lingère morte prématurément et d’un colporteur qui l’abandonne, la petite Gabrielle, née en 1883, est placée comme domestique à 12 ans chez une cousine, avant de prendre ses maigres jambes à son cou pour fuir un mariage arrangé. Le début d’une guerre solitaire sans fin, qui entraîne d’abord la jeune aventurière à Moulins, où elle apprend le jour les rudiments de la couture et chante le soir au cabaret, arrondissant ses fins de mois au bras de messieurs sensibles à son charme androgyne, dont Étienne Balsan, un éleveur de chevaux, et Arthur Capel, un joueur de polo anglais. Si ces protecteurs lui entrouvrent les portes du monde, cette pionnière doit à son extraordinaire talent de se hisser au sommet, révolutionnant la mode de son temps par l’épure et libérant les femmes de leur corset à la veille des Années folles. Farouchement indépendante, l’autoritaire directrice de la maison de la rue Cambon, qui jauge ses collections de son célèbre escalier couvert de miroirs, n’en est pas moins foncièrement conservatrice. Affolée par le Front populaire comme par la menace bolchevik, elle se rend, pendant la Seconde Guerre mondiale, coupable de « collaboration horizontale » avec un diplomate allemand, avant d’être soupçonnée d’intelligence avec l’ennemi à la Libération et de s’exiler en Suisse. À son retour, Dior est sacré nouveau prince de la haute couture, pour autant la reine, déchue mais non vaincue, crée encore un chef-d’œuvre, son emblématique tailleur en tweed. Nourri d’une foule d’archives, ce film documenté retrace le destin de la grande couturière à l’insolente réussite et au tempérament d’amazone. Au-delà de l’icône controversée – Françoise Sagan la jugeait « épouvantable de méchanceté, de cruauté et d’antisémitisme » –, le portrait nuancé d’une artiste passionnée par son métier, au style plein d’audace, en même temps que celui d’une femme du siècle dernier bataillant sa vie durant dans une immense solitude. Documentaire de Jean Lauritano.